Libération

La macronie guette ceux qui regrettent

Plusieurs ministres ont lancé un appel aux déçus de l’union avec La France insoumise. Pas sûr que les socialiste­s orphelins franchisse­nt le pas.

- Charlotte Chaffanjon

Ils n’ont même pas attendu que l’accord soit scellé pour proposer aux orphelins du PS et de EE-LV d’être leur famille d’accueil. Dès lundi, les ministres Brigitte Bourguigno­n, Agnès Pannier-Runacher, Emmanuelle Wargon cosignaien­t dans l’Opinion une tribune pour appeler «le peuple de gauche» à rejoindre la macronie, histoire de faire des «cinq ans qui viennent des années utiles pour améliorer nos vies».

Vendredi matin, au lendemain du vote du conseil national du PS scellant le mariage avec La France insoumise pour les législativ­es, c’est le secrétaire général de LREM qui tendait la main à «ceux qui croient à l’Europe, à la valeur du travail, qui veulent faire de façon efficace la transition écologique». Stanislas Guerini lançait sur RTL : «Je leur dis que nos portes sont grandes ouvertes.» Puis le ministre de la Santé, Olivier Véran, publiait sur Twitter un communiqué adressé à ses «anciens camarades» du PS, qu’il a lui-même quitté en 2016 : «Ce n’est pas vous qui quittez le PS, c’est lui qui vient de vous quitter», écrivait-il, fustigeant «un accord de soumission à l’extrême gauche» qui «ne signe pas un nouveau front populaire mais un affront populaire».

«Contre-nature».

Les reproches sur l’incohérenc­e de cette alliance sont multiples. Comment le PS peut-il rallier un mouvement avec lequel il ne partage pas la même vision de l’Europe, du soutien à l’Ukraine, de l’avenir des retraites etc.? Mais si la gauche de la macronie s’étrangle, que dire de sa droite, qui suffoque à l’idée d’imaginer son adversaire de toujours toper avec «l’extrême gauche» ? Ainsi Eric Woerth, récemment débarqué de LR, fustigeait jeudi sur France 2 cette alliance «contrenatu­re», cette «prise de pouvoir idéologiqu­e de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche».

Mais les socialiste­s non alignés n’ont – pour l’instant – pas l’intention de rallier la majorité présidenti­elle. Et pour cause : qu’il s’agisse de Bernard Cazeneuve, de Stéphane Le Foll ou de JeanChrist­ophe Cambadélis, tous ont lutté activement contre l’émergence… d’Emmanuel Macron. Cazeneuve n’a jamais pardonné à l’ancien ministre de l’Economie d’avoir trahi François Hollande, Le Foll l’a toujours vu comme un homme de droite, Cambadélis comme un ambitieux sans scrupule… Comme tout le monde n’est pas Manuel Valls, il n’est pas dit qu’ils viennent si facilement se réfugier à l’abri d’une circonscri­ption en forme de paquet-cadeau. «Pourtant, Valls, c’est bien la preuve qu’on est écolos puisqu’on pratique le recyclage !» s’amuse un député LREM.

Danger. Pas sûr que l’argument suffise. Officielle­ment, les macroniste­s poursuiven­t leur bonhomme de chemin sans se soucier des sondages. Jeudi, ils ont présenté l’accord scellé entre LREM, qui devient Renaissanc­e, Horizons d’Edouard Philippe et le Modem de François Bayrou, ainsi qu’une première salve de candidats investis pour les législativ­es. Mais en réalité, ils ne peuvent ignorer que l’union de la gauche constitue un danger. D’autant qu’ils le savent : JeanLuc Mélenchon est redoutable en campagne.

Au lendemain du meeting organisé par le leader insoumis le 20 mars à Paris, avant lequel 100000 personnes avaient défilé joyeusemen­t, le porte-parole du gouverneme­nt, Gabriel Attal, confiait : «Les insoumis sont doués en campagne. La marche est réussie. Le “meeting olfactif” l’était aussi. A chaque fois, Mélenchon arrive à être le grand innovateur de la campagne. Sur le fond, il ne tient pas un discours défaitiste, il parle de la puissance maritime, du spatial, de l’intelligen­ce artificiel­le…»

En 2017, Macron lançait à ses équipes quinze jours avant le premier tour : «Il y a trois programmes à pilonner. Le Pen, Mélenchon et Fillon. Mélenchon on l’a sous-pilonné.» Cinq ans plus tard, c’est peu dire que les macroniste­s ont une nouvelle fois sous-pilonné le même Mélenchon lors de la campagne présidenti­elle (a fortiori durant l’entre-deux tours où ils ont fait les yeux doux à son électorat), se concentran­t plutôt sur la candidate d’extrême droite Marine Le Pen. Ils n’ont plus qu’à espérer qu’il ne soit pas trop tard pour s’y mettre.

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