Libération

Jean-Luc Mélenchon remporte enfin un congrès du PS

L’accord entre Union populaire et socialiste­s place le leader insoumis dans une position de leader de la gauche. Il doit à présent assumer ce nouveau rôle.

- Charlotte Belaïch et Rachid Laïreche

Jeudi : la nuit est tombée depuis belle lurette à Ivry-surSeine dans le Val-de-Marne. Les journalist­es sont venus en masse au quartier général du Parti socialiste. Les roses sont de nouveau dans l’actualité. Ça faisait longtemps. Le premier secrétaire fait un pas en direction de la presse. Les caméras sont nombreuses, les micros et les stylos aussi. Olivier Faure est soulagé. Le conseil national a accepté, après un vote, de rejoindre l’union de la gauche pour les législativ­es. Les socialiste­s embarquent dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. La fameuse «Nupes» concoctée par La France insoumise. «Jean-Luc Mélenchon est le chef de la plus grosse force politique de notre camp, il porte l’espoir à gauche et c’est une responsabi­lité lourde. Nous sommes prêts à l’accompagne­r», explique Olivier Faure qui ne croit plus en l’hégémonie de son parti à gauche depuis la fin du quinquenna­t de François Hollande.

railleries

à foison

On se frotte un peu les yeux. Qui aurait pu imaginer une telle déclaratio­n du premier secrétaire socialiste en direction du député des Bouches-du-Rhône ? Le député européen écologiste David Cormand regarde cette scène avec une certaine distance. Il dit en souriant : «Jean-Luc Mélenchon a enfin gagné son congrès du Parti socialiste. Il l’a gagné par l’extérieur. Les électeurs qui ont voté Hollande en 2012 ont voté pour lui cette fois. Il a beau être populiste, c’est juste une approche, sur le fond il est socialiste. Et c’est lui, le nouveau PS.» L’histoire, tout le monde (ou presque) la connaît. Jean-Luc Mélenchon a longtemps été un dirigeant socialiste. L’admirateur de François Mitterrand a cheminé durant des lustres avec Julien Dray, Marie-Noëlle Lienemann et d’autres. Un gros morceau de sa vie, qu’il ne renie pas.

Jean-Luc Mélenchon a passé son temps dans l’opposition ; il n’a jamais supporté François Hollande. Des désaccords sur le fond et la forme qui le poussent à claquer la porte. Nous sommes en 2008 et une nouvelle vie démarre pour le natif de Tanger. Personne ne lui promet un grand destin. Des railleries à foison. Il fonce la tête baissée. Il crée le Parti de gauche avec une petite troupe, puis La

France insoumise. Il nous confiait récemment dans son bureau : «Je savais que j’étais sur le bon chemin, que je tenais la bonne ligne. Le PS était devenu un parti qui gère les équilibres internes alors qu’il fallait rompre avec le néolibéral­isme. Je m’étais donné dix ans pour gagner la bataille, finalement ça a mis quatorze ans.» L’ancien sénateur regarde différemme­nt la nouvelle génération. Il place le premier secrétaire actuel dans le camp des «courageux».

cogner sur les éléphants

La naissance de la Nupes a mis quelques nouveaux visages sous les spots. Le responsabl­e des élections du Parti socialiste, Pierre Jouvet, n’a pas hésité. Il est monté sur la barricade médiatique pour cogner sur les éléphants qui tentaient de repousser l’accord avec l’insoumis. Il dit au sujet du tribun : «Jean-Luc Mélenchon parlait de François Hollande quand il évoquait le Parti socialiste. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, le PS ce sont des gens comme moi, qu’il ne connaît pas.» Une façon de dire que les pages se tournent et que les gauches ne sont pas irréconcil­iables. Le dirigeant insoumis Paul Vannier, qui était également au premier rang lors des négociatio­ns, est sur la même ligne. «J’ai vu une nouvelle génération avec des secrétaire­s nationaux que je ne connaissai­s pas et qui semblent s’inscrire dans une culture que je pourrais assimiler au mouvement ouvrier», dit-il. Les murs tombent.

Une vérité : Jean-Luc Mélenchon a très vite voulu unir toutes les couleurs de la gauche sous une même bannière pour les législativ­es. Certains de ses proches se sont interrogés sur le sort à réserver au PS. Les plus jeunes n’étaient pas bouillants pour intégrer les roses dans la bande. Le député des Bouches-duRhône a rapidement convaincu les siens. Pas question de se laisser avoir par les «rancoeurs» du passé. La porte est ouverte à tous ceux qui partagent la base de L’Avenir en commun (son programme à la présidenti­elle). La direction socialiste et Olivier Faure ont bougé. La présidente du parlement de l’Union populaire et candidate aux législativ­es Seine-Saint-Denis, Aurélie Trouvé, admet que le chemin parcouru par les socialiste­s en «quelques jours» est «fou».

«longue solitude»

Ce n’est pas la première fois que Mélenchon se rapproche de son ancienne famille. Il y a déjà eu une première tentative. On rembobine. Dimanche 9 septembre 2018 : le député intervient à Marseille lors de l’université de Nos Causes communes, le club lancé par l’aile gauche du PS et le Mouvement républicai­n et citoyen (MRC). Il prend la parole en dernier. Le début: «Je ne suis pas venu ni vous courtiser, ni vous admonester, ni vous reprocher vos nombreuses erreurs, car vous pourriez me faire remarquer que j’en ai partagées beaucoup. J’ai le coeur plein d’enthousias­me si vos chemins viennent en jonction avec les nôtres. Que finisse cette longue solitude pour moi d’avoir été séparé de ma famille.» La fin: «Mes amis, vous me manquiez. Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos.» La suite a capoté : quelques semaines après, les perquisiti­ons au siège de La France insoumise ont remis de la distance entre Jean-Luc Mélenchon et son ancienne famille. Il espérait un peu plus de soutien et les roses ont longuement pensé que cet épisode signait la fin de ses ambitions politiques. Le temps est passé. Mélenchon s’est relevé et réunit la gauche derrière lui après ses 21,95 % à la présidenti­elle. Une sorte d’exploit.

Une frange du Parti socialiste (les éléphants) le guette encore de travers. Il regarde ailleurs en les traitant de «has been». Tout ne peut pas disparaîtr­e. Le passé dure une éteren nité en politique. Il se concentre sur la nouvelle génération et rigole face à la situation qui voit le PS se ranger sous la même bannière que la sienne en reconnaiss­ant sa force : «Vous pensez que ça ressemble à un congrès ? Cela prouve que l’on peut gagner des congrès au PS sans tricher.» Samedi, lors de sa prise de parole à Aubervilli­ers face à toutes les couleurs de la gauche, il dira son émotion avec sûrement quelques références au passé. Une question subsiste : est-ce le début d’une nouvelle histoire ou le dénouement d’un long feuilleton ?

 ?? ?? Raquel Garrido, Manon Aubry, Clémentine Autain, Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens (au deuxième rang) et Manuel
Raquel Garrido, Manon Aubry, Clémentine Autain, Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens (au deuxième rang) et Manuel
 ?? Photo Boby ?? Bompard à Paris le 20 mars.
Photo Boby Bompard à Paris le 20 mars.

Newspapers in French

Newspapers from France