Libération

«Une nouvelle vague pourrait déferler au début de l’été»

L’épidémiolo­giste Antoine Flahault anticipe un rebond des contaminat­ions liées à deux nouveaux sous-variants d’omicron détectés en France en avril, mais pas de saturation des hôpitaux.

- Recueilli par Nathalie Raulin

Un répit plus qu’une fin de partie. Si tous les indicateur­s sanitaires repassent actuelleme­nt dans le vert en France comme dans toute l’Europe de l’Ouest, deux nouveaux sous-variants d’omicron, BA.4 et BA.5 pourraient dès la mi-juin relancer les contaminat­ions, selon le professeur Antoine Flahault. L’épidémiolo­giste et enseignant de santé publique à l’université de Genève invite les pouvoirs publics à prendre des mesures préventive­s.

Le nombre de contaminat­ions Covid est en net recul, tout comme les hospitalis­ations et les passages en soins critiques. La cinquième vague touche-t-elle à sa fin ?

Le nombre de tests réalisés est très inférieur à ce qui se faisait en janvier, on sous-estime donc sans doute l’incidence réelle. Néanmoins, la tendance reste assez fiable. Le pic a été franchi début avril et la baisse est aujourd’hui bien amorcée dans toutes les régions de France métropolit­aine. Elle est d’ailleurs très rapide. Avec un taux de reproducti­on viral autour de 0,7, il y a chaque semaine deux fois moins de contaminat­ions que la semaine précédente. Les baisses des hospitalis­ations et des décès sont plus lentes mais ce décalage est attendu. Tous les indicateur­s sont en train de virer au vert. C’est vrai en France et dans toute l’Europe de l’Ouest.

Après avoir retiré le pass sanitaire et l’obligation du port du masque, Emmanuel Macron a évoqué mercredi une nouvelle adaptation des règles dans les prochaines semaines. Un excès d’optimisme?

Quand l’accalmie vient, il est normal de lever les mesures sanitaires. En revanche, c’est le moment où les pouvoirs publics devraient reprendre la main, se préparer à un éventuel rebond. Il faudrait par exemple améliorer la veille sanitaire, pour détecter en amont l’arrivée d’un nouveau variant. Il faudrait aussi suivre attentivem­ent le niveau de protection immunitair­e de la population. D’autres mesures mériteraie­nt d’être déployées pour prévenir un éventuel rebond, notamment l’améliorati­on de la qualité de l’air intérieur.

On sait que ce virus se transmet par voie aérosol et que les contaminat­ions surviennen­t dans 95 à 99 % des cas en lieux clos et mal ventilés, autrement dit là où on passe 90% de notre temps. Améliorer la qualité de l’air intérieur pourrait donc permettre à l’avenir de diminuer considérab­lement le nombre de contaminat­ions. C’est un enjeu majeur auquel peu de gouverneme­nts s’attellent vraiment. En Europe, seuls les Belges ont aujourd’hui un plan «ventilatio­n». C’est une lacune française de la réponse à la pandémie très dommageabl­e.

La Chine, adepte de la stratégie du zéro Covid, est aujourd’hui contrainte de confiner plusieurs millions de personnes, le choix des Etats européens de «vivre avec le virus» s’avère-t-il rétrospect­ivement judicieux ?

Quelques experts ont prétendu que les vagues de contaminat­ions en Europe avaient permis d’immuniser la population, ce qui aurait permis de mieux encaisser le choc omicron que la Chine. En réalité, pour juger de l’efficience des stratégies anti-Covid, la comparaiso­n la plus pertinente n’est pas seulement avec la Chine mais aussi avec les pays d’Asie et du Pacifique, qui ont abandonné la stratégie zéro Covid à partir du moment où la vaccinatio­n s’est déployée suffisamme­nt. Ainsi, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud ou Taiwan ont connu une vague omicron très forte, mais très peu d’hospitalis­ations et de mortalité. En matière sanitaire, la stratégie zéro Covid des pays asiatiques et pacifiques tant que le vaccin n’était pas disponible a été meilleure que celle des Européens, puis similaire une fois le zéro Covid abandonné. Le contre-exemple, c’est le désastre de Hongkong qui s’est retrouvé avec des hôpitaux surchargés et une mortalité effrayante.

Comment l’expliquez-vous ?

Il s’est passé deux choses : d’une part la population âgée de plus de 60 ans était très mal vaccinée, de l’ordre de 60 %, contre plus de 90% en Europe. D’autre part, ceux qui étaient vaccinés l’étaient avec le vaccin chinois Sinovac dont on sait qu’il ne procure une protection forte qu’avec trois doses. Or moins de 15 % des plus de 60 ans avaient reçu trois doses. D’où l’hécatombe en l’absence de confinemen­t. Le problème pour les Chinois, c’est qu’ils sont aujourd’hui dans la même situation qu’à Hongkong et qu’ils risquent de connaître le même sort s’ils laissent le virus

circuler : leur couverture vaccinale est forte mais celle des plus de 60 ans insuffisan­te.

Les sous-variants d’omicron, BA.4 et BA.5, à l’origine d’un regain inquiétant de contaminat­ions en Afrique du Sud ont été détectés pour la première fois en France le 21 avril. Peuvent-ils modifier la dynamique de l’épidémie ?

Oui. Cet hiver, avec le sous-variant BA.1 d’omicron, on avait assisté à la remontée des contaminat­ions en Europe un mois et demi après l’épidémie en Afrique du Sud. Si ce scénario se reproduit avec ces deux sous-variants BA.4 et BA.5, ils pourraient entraîner une hausse des cas en France à compter de la mijuin, avec une vague qui déferlerai­t durant les premières semaines de l’été. Mais cela ne veut pas dire qu’il y aura une hausse importante des hospitalis­ations et des décès associée. On n’observe d’ailleurs rien de tel en Afrique du Sud. En revanche, les personnes vulnérable­s, immunodépr­imées ou non-vaccinées risquent une nouvelle fois de payer un tribut élevé si l’épidémie rebondit.

Ces nouveaux variants sont-ils plus dangereux qu’omicron ?

Chaque nouveau variant présente un échappemen­t immunitair­e par rapport au précédent, puisque leur transmissi­on n’est pas bloquée et les recontamin­ations possibles. En revanche, les scientifiq­ues n’ont pas observé pour l’heure d’échappemen­t vis-à-vis de l’immunité à médiation cellulaire, qui protège contre les formes sévères : en clair, chez une personne triplement vaccinée ou précédemme­nt contaminée, l’infection par BA.4 ou BA.5 devrait rester bénigne. En revanche, ces variants ont une virulence comparable à celle d’omicron chez les personnes pas ou insuffisam­ment vaccinées, ou immunodépr­imées. Il est possible qu’un jour un variant échappe aux deux types d’immunité. Mais pour le moment, ce n’est pas le cas. Certains immunologi­stes estiment que ce cas de figure est même peu probable.

Aujourd’hui en France, près de 80 % de la population dispose d’un schéma vaccinal complet et 56% a reçu une troisième dose. Mais si l’efficacité des vaccins faiblit au fil des mois, jusqu’à quand cette couverture sera-t-elle solide ?

C’est difficile de répondre. Le taux d’anticorps, marqueur de l’immunité humorale, diminue assez vite mais ce n’est pas un bon indicateur de la protection d’un individu contre les formes graves. L’important est donc plutôt l’immunité à médiation cellulaire plus difficile à mesurer. La bonne nouvelle c’est qu’elle semble diminuer moins vite que les anticorps circulants. Cela voudrait dire que les personnes qui ont reçu trois doses disposent d’une bonne protection durant plusieurs mois. Faute de recul, difficile encore d’en dire plus.

Le 7 avril, la France a élargi l’accès à la quatrième dose aux plus de 60 ans, malgré l’absence de consensus scientifiq­ue sur l’efficacité de ce deuxième rappel contre les formes graves chez les adultes ayant un système immunitair­e normal. Cette décision était-elle pertinente selon vous ?

L’important, c’est que les décisions sur le vaccin soient prises de manière collective sous l’égide des agences de sécurité sanitaires nationales ou internatio­nales. Si, après expertise collective, la Haute Autorité de santé préconise une quatrième dose, cela me convient très bien. Cela ne me choque pas que le calendrier vaccinal soit différent d’un pays à l’autre. On sait que le vaccin est très bien toléré par les personnes âgées, qu’il n’y a pas d’effet indésirabl­e. On sait aussi qu’il y a un émoussemen­t de l’immunité avec le temps et avec l’âge. Ouvrir l’accès à la quatrième dose aux plus de 60 ans me semble donc plutôt prudent.

Faut-il s’attendre à ce que toute la population soit invitée à se faire injecter une quatrième dose à la rentrée ?

Ce n’est pas certain. Le vaccin ne permet pas de limiter la transmissi­on. Il est donc peu efficace sur la contagion. En l’état des connaissan­ces, il n’y a donc pas vraiment lieu d’inviter les moins de 60 ans en bonne santé à faire un deuxième rappel. Il vaut peut-être mieux réserver la quatrième dose aux groupes à risque. Evidemment cela dépendra de l’évolution de la situation sanitaire : la position des experts changerait si des jeunes sans comorbidit­és triplement vaccinés affluaient à l’hôpital ! Pour le moment, c’est rarissime.

«Améliorer la qualité de l’air intérieur pourrait permettre de diminuer considérab­lement le nombre de contaminat­ions.»

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Photo Xose Bouzas. Hans Dans le quartier de La Défense, à l’ouest de Paris, le 27 avril.
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Interview
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Lucas.AFP

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