Libération

Scrutins locaux en Angleterre : les conservate­urs ne sont pas à la fête

Rattrapés par les scandales, dont le partygate, les tories perdent des bations historique­s à Londres. La situation devient périlleuse pour le gouverneme­nt, qui pourrait déclencher des élections générales.

- Par Nina Guérineau de Lamérie Correspond­ante à Londres

Tôt vendredi matin, des militants travaillis­tes ont laissé éclater leur joie aux quatre coins de Londres. Lors d’élections locales tenues la veille en Angleterre, les Londoniens ont porté le parti d’opposition à la tête de trois arrondisse­ments longtemps acquis aux conservate­urs. Wandsworth, dans le sud-ouest, dirigé par les tories depuis 1978 et quartier préféré de l’ancienne Première ministre conservatr­ice Margaret Thatcher. Westminste­r ensuite, dans le centre, qui n’avait jamais basculé vers le Labour. Et Barnet, dans le nord, où c’est aussi la première fois que les travaillis­tes sont majoritair­es au conseil. «C’est un tournant majeur, s’est félicité le leader, Keir Starmer, depuis Barnet. Nous sommes en bonne position pour les élections générales, ce qui montre les changement­s difficiles entrepris au cours des deux dernières années et la différence que cela a fait.» Une joie assombrie quelques heures plus tard par l’ouverture d’une enquête policière visant à déterminer si le chef travaillis­te a enfreint les règles sanitaires lors d’une réunion de travail l’an dernier.

«La seule issue, pour Johnson,

est de déclencher des élections [générales].»

Rod Dacombe professeur au King’s

College de Londres

«Mur bleu». Ces victoires symbolique­s signent un sévère revers pour le Premier ministre, Boris Johnson, qui a aussi assisté au recul du vote en faveur des conservate­urs à Hillingdon, banlieue ouest abritant sa propre circonscri­ption. Au sud, le «mur bleu» n’a pas non plus été épargné avec la forte progressio­n des libéraux-démocrates, notamment dans le West Oxfordshir­e qui compte l’ancienne circonscri­ption de l’ex-Premier ministre conservate­ur, David Cameron. Alors que les dépouillem­ents étaient toujours en cours vendredi après-midi, le parti de Johnson avait perdu plus d’une centaine de sièges. Pour de nombreux conseiller­s conservate­urs sortants, ces défaites résultent d’une image drastiquem­ent ternie par le partygate et les autres scandales. Le dernier en date étant la démission forcée d’un député qui regardait du porno en plein débat parlementa­ire.

Les tories payent également le manque de soutien financier du gouverneme­nt aux Britanniqu­es face à l’envolée des prix de l’énergie. Mardi, deux jours avant les élections, Boris Johnson avait aggravé son cas. Interrogé par la chaîne ITV sur le cas d’une retraitée de 77 ans obligée de passer ses journées dans le bus pour se réchauffer, celui-ci s’est d’abord vanté d’avoir introduit un pass journalier pour les transports en commun… «La question de Boris Johnson était soulevée à chaque porte à laquelle nous toquions», a blâmé vendredi matin, Ravi Govindia, conseiller tory sortant de Wandsworth.

Il n’est pas le seul à estimer le gouverneme­nt responsabl­e de ces piètres résultats. Un de ses collègues a, lui, appelé à la démission de Johnson : «Il est clair que le partygate […] a affecté l’élection. La meilleure chance de relancer le parti conservate­ur est de changer de chef», a attaqué Antony Mullen depuis le Sunderland, dans le nord du pays. Face aux critiques, le Premier ministre a admis que les conservate­urs avaient eu une «nuit difficile», mais a estimé que les résultats étaient dans l’ensemble «mitigés».

Disparate. Si les gains travaillis­tes sont considérab­les dans la capitale, le tableau national est plus disparate. Dans le nord, qui vote traditionn­ellement pour le Labour, les premières prévisions dessinaien­t une percée plus timide. Ailleurs, ce sont les libéraux démocrates et les verts qui ont enregistré de fortes poussées.

«Les conservate­urs ont perdu gros, mais ils n’ont pas perdu énormément, résume Rod Dacombe, directeur du Centre pour la politique et le gouverneme­nt britanniqu­es au King’s College. Pour l’instant, à part à Londres, le Labour ne progresse pas vraiment. Donc est-ce une grande victoire pour le parti ? Oui. Est-ce une victoire décisive ? Non.» Et de poursuivre : «Ces résultats ne sont pas aussi mauvais qu’ils auraient pu l’être pour les conservate­urs, et il est peu probable qu’un vote de défiance soit déclenché contre Boris Johnson.» Pour le moment, aucun candidat à la succession du dirigeant tory ne semble sortir du lot. En revanche, selon le politologu­e, le Premier ministre pourrait appeler à des élections générales prochainem­ent. «A Downing Street, cette possibilit­é est évoquée depuis des semaines», rapporte le politologu­e. Car plus les mois avancent et plus la situation devient périlleuse pour le gouverneme­nt. «Le coût de la vie va encore augmenter cet automne et les choses vont devenir bien plus difficiles. Et puis le rapport de Sue Gray [haute fonctionna­ire qui a enquêté sur le partygate, ndlr] aura été publié et à ce stade, la police aura sans aucun doute infligé d’autres amendes à Boris Johnson, déroule Rod Dacombe. Je pense que la seule issue à cela, pour lui, est de déclencher des élections.» En abaissant cette dernière carte, le Premier ministre pourrait s’extirper d’une mauvaise position. Encore une fois. •

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Photo Matt Dunham.AP Boris Johnson, jeudi à la sortie de son bureau de vote.

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