Christian Jacob, désincarné de campagne
Le président de LR mène la bataille pour les élections législatives sans briguer de nouveau mandat et tout en préparant sa sortie. Adepte des angles arrondis, il n’aura pas imposé de ligne claire, préférant l’apaisement et le compromis.
Ces jours-ci dans les médias, Christian Jacob offre de curieux moments. Entre déni et langue de bois, le président du parti Les Républicains (LR) paraît venu pour ne rien dire. Les déchirements de son parti ? «Le débat est sain.» Le soutien de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron ? «Il faut lui poser la question.» Le naufrage de Valérie Pécresse à la présidentielle? Presque un détail, car la droite est forte de son «ancrage local». Les journalistes qui en voulaient davantage se sont attiré d’aigres répliques.
Méthode humaine.
Le chef de LR –qui lance samedi la campagne législative du parti – est dans une position difficile. En lui-même, il mesure parfaitement l’état de son camp, pulvérisé à la présidentielle. En public, il ne croit pas pouvoir l’admettre sans accélérer la catastrophe. Sa fonction l’oblige à faire vivre le récit officiel selon lequel LR incarnerait «une droite indépendante et populaire», soluble «ni dans le macronisme ni dans le lepénisme». Un hommage au docteur Coué. Les limites du procédé semblent atteintes. Les communiqués définitifs, les harangues anti-Macron et le souvenir des victoires locales ne cachent plus le délabrement de la maison LR. Aux 4,8 % de Pécresse, Jacob oppose ad libitum «les 30 % d’électeurs qui ont soutenu nos candidats aux élections territoriales» – quitte à donner du parti l’image d’un vague syndicat d’élus locaux. Des figures de LR règlent leurs comptes en public sur les réseaux sociaux. Et personne n’a bien compris le sort réservé aux candidats qui n’excluraient pas formellement de travailler avec Macron. «Christian ne maîtrise pas tout et je suis assez certain qu’il n’a pas de plan, estime un bon connaisseur de l’appareil. Avec sa formation syndicale [chez les Jeunes agriculteurs, ndlr], il arrive qu’il manoeuvre les uns et les autres pour parvenir où il veut. Là, il est manifestement emmerdé. Il ne sait pas qui s’apprête à partir chez Macron, s’il y a vraiment des deals ou si c’est juste la divagation des uns et des autres. Il sait que ça va secouer et il essaie tant bien que mal d’éviter les clashs.» Jacob, 62 ans, n’a pas changé de méthode depuis son élection à la tête du parti, en octobre 2019. Expert en gestion d’appareil, il ne coupe le lien avec aucune chapelle et joue des deux outils à sa main, l’agenda et l’expression officielle de LR, pour maintenir l’apparence d’un cadre unitaire. Rechignant aux actes drastiques, il préfère orienter les événements par petites touches, sans craindre de laisser travailler le temps. Pour les uns, c’est la méthode humaine et délicate qui convient au patient LR. Pour ses critiques, partisans de manières plus tranchantes, elle évoque un autre docteur: le bon Henri Queuille, selon qui il n’est pas de problème qui résiste à une absence de solution.
Aux régionales de juin 2021, alors que le président de la région Paca, Renaud Muselier, se rapprochait de la macronie et que l’aile dure réclamait son exclusion, Jacob avait déjà louvoyé, retirant puis rendant l’investiture du parti à son ami. Longtemps, aussi, il a reporté toute initiative sur le choix du candidat de LR à la présidentielle, espérant l’émergence d’un prétendant «naturel». Beaucoup regrettent ces mois perdus pour la championne finalement désignée.
«Grenouilles». «Son truc, c’est la pâte humaine : ne jamais se presser, garder toutes les grenouilles dans la même brouette, explique une figure de LR. Avec lui, il n’y a pas de crises, pas de haines comme sous Copé ou Wauquiez. C’est sa vertu et son inconvénient car, face à des intérêts divergents, il ne tranche pas. En ce moment, par exemple, il doit se dire : je ne vais pas faire péter le truc, car si ces mecs ne partent pas chez Macron, ils seront bien obligés de rester chez nous.»
La période est spéciale à double titre pour Jacob, qui commence aussi à préparer sa sortie. L’ex-maire de Provins ne sera pas candidat à un nouveau mandat de député de Seine-et-Marne : première étape d’un retrait qui, sauf surprise, devrait le voir quitter la tête de LR avant la fin de l’année. Selon toute vraisemblance, le parti aura subi d’ici là un nouveau revers aux législatives. Jacob sera-t-il tenu comptable ? Jusqu’ici, la plupart des cadres lui savent plutôt gré de son action pacificatrice, dans un contexte historiquement difficile pour la droite. Rien, pointe-t-on, ne l’obligeait à prendre le poste en octobre 2019, alors qu’il ne nourrissait aucune ambition présidentielle – il a vainement voulu susciter celle de son ami François Baroin. «Il a eu le courage ou l’inconscience de s’engager alors qu’on était rincés par nos défaites, commente une figure de LR. J’ai envie de le remercier en disant : tu as permis que la maison n’explose pas. Je ne lui reprocherais que son manque d’ambition. Ça rabaissait un peu la fonction.» C’était aussi la condition pour que son arbitrage s’impose aux éléphants du parti – pétris, eux, de desseins personnels.
A la tête de LR, il n’a pas incarné de leadership fort ni porté de ligne claire. D’ailleurs il n’a jamais prétendu le contraire.
«Porc breton».
Auprès de Libé, en 2020, il comparait son rôle à celui du «président d’un syndicat agricole» : «Vous devez mettre d’accord le producteur de porc breton, dont l’intérêt est d’avoir un coût d’aliments le plus bas possible, et le céréalier qui veut le prix du blé le plus élevé possible.» En fait, analyse le conseiller d’un ponte LR, «il a été un président de parti à l’américaine, qui gère un collectif sans représenter un courant de pensée. C’est une rupture avec la tradition du chef de droite. Mais si on regarde honnêtement son contrat – apaiser le parti, éviter la fuite des élus, présenter un candidat à la présidentielle – c’est un sans-faute jusqu’à la mi-décembre 2021».
Ces derniers jours, on lui a reproché de diriger la campagne des législatives sans prétendre à Matignon, ni être candidat lui-même. Nouvel acte de dévouement, ou signe supplémentaire du déclassement de LR ? «On ne peut pas mettre un type qui prend sa retraite dans deux mois pour mener les législatives !» se navre un sortant. A son retrait, des LR se féliciteront de la fin de ce long intérim. Combien d’autres regretteront la rassurante «méthode Jacob» ?