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Photo/ Agence Noor : quinze ans saisissant

Pour son anniversai­re, le collectif internatio­nal de photorepor­ters créé par feu Stanley Greene présente un best of à la BNF.

- Gilles Renault

Le site de la Bibliothèq­ue nationale de France (BNF) a beau être immense, l’agence Noor n’y dispose que d’une seule salle pour son digest. Objectivem­ent, c’est un peu juste. Cela permet néanmoins de se faire une idée fiable de l’engagement qui fédère les quatorze photograph­es défilant sous une bannière à consonance arabe («lumière» en VO), cependant que résolument cosmopolit­e, avec pas moins de onze nationalit­és représenté­es. De toute la bande, dont, vu l’éclatement géographiq­ue (Etats-Unis, Russie, Jordanie, Espagne, France…), on imagine qu’elle n’a pas dû souvent banqueter, le plus connu est aussi le seul qui n’est plus là, aujourd’hui, pour contempler la rétrospect­ive, composée d’environ 70 tirages donnés au départemen­t des Estampes et de la photograph­ie de la BNF.

Black Panther. Mort d’un cancer en 2017, à l’âge de 68 ans, l’Américain francophil­e Stanley Greene avait (avec Kadir van Lohuizen) lancé Noor en 2007 à Perpignan, dans le cadre du festival Visa pour l’image où, proche du directeur, JeanFranço­is Leroy, il était pour ainsi dire comme à la maison. Indéboulon­nable figure tutélaire, l’ex-Black Panther occupe cependant une place centrale dans l’accrochage parisien, surmonté d’un épitomé : «Les journalist­es apparaisse­nt aujourd’hui comme des “touristes du désastre”, bondissant de-ci, de-là pour observer les points chauds de la planète. Telle n’a jamais été mon idée du métier : je crois que le travail du photorepor­ter doit se concevoir à une échelle plus vaste, revenant encore et encore sur les lieux afin de porter un témoignage dans la durée.»

«Les appareils photos sont les armes avec lesquelles je me bats», affirmait également Stanley Greene, entraînant dans son sillage sept femmes et six hommes dans une «coopérativ­e» qui deviendra un creuset des affres de la planète, de l’extrême dénuement d’un hôpital psychiatri­que de la Sierra Leone (Pep Bonet) aux manifestat­ions de la place Tahrir, au Caire, symbolisan­t en 2011 les espoirs déçus du Printemps arabe (Yuri Kozyrev).

Ignominies. Des contextes tantôt ordinaires ou ignorés (la palme revenant à Pep Bonet, capable de se plonger dans la culture heavy metal undergroun­d au Botswana), tantôt historique­s, mais où il ne sera au fond jamais question que d’hommes, de femmes

et d’enfants, payant trop souvent au prix fort les mille et une ignominies d’une civilisati­on détraquée. Ce que, entre autres visages mémorables, résume la pose officielle de tel couple de mariés américains où la jeune femme au regard perdu se tient au côté de son conjoint, un marine en uniforme, littéralem­ent défiguré par ce qu’on devine avoir été une explosion (Nina Berman). Ou, dans un Angola truffé de mines antiperson­nel, cette fillette fiérote, qui serre dans ses bras une poupée rudimentai­re, près d’un gamin unijambist­e soutenu par des béquilles.

Ce monde qui nous regarde : 15 ans de l’agence Noor, BNF François Mitterrand, galerie des donateurs, 75 013, www.bnf.fr, entrée libre, jusqu’au 5 juin.

 ?? Photo Pep Bonet. Noor ?? Centre de désintoxic­ation à Freetown, au Sierra Leone.
Photo Pep Bonet. Noor Centre de désintoxic­ation à Freetown, au Sierra Leone.

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