Arts/ Anita Molinero et la société de consumation
Au musée d’Art moderne de Paris, la sculptrice présente ses distorsions de matériaux industriels fondus et évoque un système de production toxique.
Alors qu’Anita Molinero s’en tient depuis ses débuts, dans les années 90, à la sculpture et que son exposition au musée d’Art moderne de Paris met logiquement le doigt sur les gestes qui portent cet art (tordre, accumuler, extruder, brûler…), c’est la couleur qui saute aux yeux dès la première salle. Les pièces jettent des éclats rouges, rose bonbon, vert poubelle, gris métallique. Les couleurs sont sucrées, écoeurantes ou acidulées, criardes finalement comme le cri de douleur de la matière mise au supplice. Car ces teintes appartiennent en propre aux objets et matériaux et l’artiste, en les travaillant, leur a fait rendre gorge. Un de ses gestes de prédilection est en effet d’allumer le chalumeau et de cramer de près les revêtements plastiques et les couches de polystyrène Mais Anita Molinero ne réduit pas la matière en charpie. Elle y tresse des torsades, y forme des plis, y moule des excroissances qui leur prêtent des allures monstrueuses (mais pas féroces). A l’image de cette poubelle sur roulettes, juchée sur des parapets de parpaings, dont la peau fondue est étirée jusqu’à ce que deux cornes lui poussent. La plupart des sculptures intègrent d’ailleurs leur propre dispositif de monstration. Ce sont donc des sculptures qu’on dirait «autoportantes» même si elles se tiennent rarement droites – la faute à toutes les déformations dont elles sont affectées.
C’est en somme plutôt une sculpture qui claudique ou qui rampe comme un ver de terre. Une d’entre elles, au sol, se constitue d’ailleurs d’un soufflet de bus déglingué et faisant le tour de petits morceaux de béton armé s’accrochant à leur ferraille. Tous ces objets (surtout ceux qui dégueulent leur plastique fondu) ont des haut-le-coeur. Ce qu’Anita Molinero tente de digérer ou de prendre en main, à travers eux, c’est la société industrielle, ses enrobages polluants, ses déchets encombrants, son régime de production toxique. «Les matériaux que je travaille actuellement, explique-t-elle, plastiques aux noms étranges et aux composants douteux, à la beauté presque inaltérable, sauf à révéler leur dangerosité par la simple violence de la brûlure, sont en soi métaphoriques d’un monde contemporain dans lequel les menaces peuvent prendre la forme évanescente d’un nuage.»
Anita Molinero, Extrudia, au musée d’Art moderne de Paris (MAM), jusqu’au 24 juillet.