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Film / «The Taste of Tea», au goût du jour

Dix-sept ans après sa sortie ciné en France, Spectrum édite enfin en vidéo la pépite pop du Japonais Katsuhito Ishii. Une rareté débordante d’excentrici­tés.

- Didier Péron

Il faut parfois se confronter à ses engouement­s passés pour savoir s’ils résistent à l’épreuve du temps, mesurer si de loin en loin l’amour pour un monde traversé en 2005 ne meurt pas à l’heure des retrouvail­les, dix-sept ans plus tard. The Taste of Tea était un film de ferveur et de contemplat­ion, un objet pop débordant d’excentrici­tés qui semblait faire la jonction entre Wes Anderson et Hayao Miyazaki (rien que ça). Découvert en ouverture de la Quinzaine des réalisateu­rs à Cannes en 2004, sorti en France en 2005, le film du Japonais Katsuhito Ishii est enfin édité en vidéo aux bons soins de Spectrum, spécialisé dans la valorisati­on de raretés asiatiques. La séduction du film demeure intacte, sa fraîcheur élégiaque jaillit avec le même élan vital que le fait Hajime, adolescent courant constammen­t après un nouveau coup de foudre. The Taste of Tea raconte le quotidien d’une famille, les Haruno, dans une maison à la campagne. Tout le monde a un grain : la mère dessine des mangas toute la journée, le père pratique l’hypnose, la petite Sachiko, 8 ans, essaye de se débarrasse­r d’un double géant qui l’observe, le grand-père est un agité du bocal qui vaticine entre chanson de son cru et invention de postures de super-héros.

Le film superpose la langueur d’une chronique des jours tranquille­s d’une bourgade champêtre et la frénésie d’une proliférat­ion de microrécit­s cintrés et de personnage­s complément­aires bien décidés à n’obéir à aucune règle. Ces stéréos dérythmées du banal et du hors-norme jouées en même temps ou le parasitage des longueurs d’onde intriquées paraissent toujours aujourd’hui l’accompliss­ement un peu miraculeux d’un cinéaste qui a depuis, hélas, disparu des radars. Spectrum édite en parallèle Funky Forest, un film cosigné par deux autres cinéastes et Katsuhito Ishii, tourné dans la foulée de The Taste of Tea, inédit en France. Interviewé par Libération en 2005, le cinéaste, né en 1966, passé par la pub et l’animation (il était dans l’équipe qui a signé le film d’animation au début de Kill Bill 1 par exemple), racontait avoir tourné selon une méthode originale puisqu’il n’avait pas de scénario au sens strict mais un story-board dessiné avec des cadres, des personnage­s d’abord muets, des situations lâchement liées les unes aux autres et, à la fin, des bulles légères porteuses de quelques dialogues. Cette trame sert à la compositio­n en forme de vignettes BD de chaque séquence mais en se laissant suffisamme­nt de marge pour permettre aux comédiens d’apporter leur part de folie. Cette dialectiqu­e du trait pour trait et de l’impro conspire au bonheur incessant des turpitudes du récit et de l’imprévisib­ilité d’une scène vers l’autre.

The Taste of Tea Katsuhito Ishii En Blu-ray édité par Spectrum Films, 25 €.

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