Libération

L’amour au temps du Brexit Nick Hornby de passage à Paris

- Par Virginie Bloch-Lainé

Nick Hornby est un petit homme sympathiqu­e et rieur, attelage particuliè­rement agréable par les temps qui courent. Il s’amuse de ses propres plaisanter­ies, et des vôtres. Né en Angleterre en 1957 dans une famille modeste, il est un auteur à succès de romans, d’essais, et de scénarios. En France, ses livres les plus connus sont Carton jaune et Haute Fidélité, publiés dans les années 90. C’est en admirateur du club de l’Arsenal et en amoureux de la musique des années 70 qu’il les a écrits, mais leurs lecteurs ne se limitent pas aux fans de foot ou de rock. Tout comme toi, son nouveau roman, pour lequel il était de passage à Paris, raconte une relation amoureuse qui commence bien entre Lucy et Joseph. Elle se noue en 2016 sur une toile de fond moins prometteus­e, le Brexit. Lucy est la mère de deux garçons. Elle est divorcée, elle a 42 ans. Joseph a vingt ans de moins. Il est noir, Lucy est blanche. Il est boucher, il a arrêté ses études ; elle dirige le départemen­t d’anglais de l’école d’un quartier difficile, à Londres : «Je voulais que mes personnage­s passent outre plusieurs obstacles. D’après moi, celui de l’âge est plus difficile à surmonter que les différence­s sociales et de couleurs de peau.» Joseph constate que Lucy «n’était plus toute jeune, mais lui l’était encore un peu trop, et c’était là le coeur du problème».

Le racisme est abordé par le prisme du référendum, sur le point d’avoir lieu. Que voteront les diverses communauté­s du pays ? Et qu’entend Joseph par le mot «communauté» ? «Il s’obstinait à vouloir que sa communauté soit l’endroit où il habitait, une communauté constituée de vieilles dames blanches, de jeunes musulmans, de petits Lituaniens, de fillettes métisses, de familles asiatiques, de chauffeurs de taxis juifs. Mais ce n’était pas le cas.» En Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, la communauté en effet s’entend d’abord plus volontiers au sens étroit du terme. Joseph habite Tottenham, un quartier londonien très pauvre où vivent des Caribéens, et dont les émeutes de 1985 restent dans les mémoires. La pauvreté et l’âge sont d’autres thèmes centraux du livre. Nick Hornby les aborde en pratique, non en théorie : l’auteur excelle dans les dialogues (il y en a beaucoup), pas dans les romans à thèses, heureuseme­nt.

Le célibat dans lequel s’était installée Lucy a son importance. L’écrivain a des phrases justes sur l’effet que produit sur elle sa rencontre avec Joseph après un divorce, et une traversée du désert ; des phrases justes sur une vie de femme, en somme : «Elle avait voulu être déléguée des élèves, puis elle avait voulu faire des études et la suite avait été un enchaîneme­nt bien huilé – mariage, enfants, promotions, obstacles franchis avec une relative facilité. Mais depuis, des hommes l’avaient désarçonné­e, Paul d’abord et maintenant Joseph, et elle ne savait plus comment remonter en selle ni ou cela la mènerait si elle y parvenait.» Joseph, lui, est moins tourmenté. Celui qui fut inquiet est l’éditeur américain de Nick Hornby. Il craignait les accusation­s d’appropriat­ion culturelle : Joseph est un noir inventé par un blanc. Il a demandé des modificati­ons. Hornby n’a pas cédé et le livre fut accueilli sans polémique.

Récession. Joseph croit au Brexit parce que son père, ouvrier dans le bâtiment, est convaincu des bienfaits de la sortie de l’UE : «Il monte des échafaudag­es. Il veut que tous les Européens de l’Est rentrent chez eux pour que les patrons soient obligés de payer plus cher les Britanniqu­es.» explique Joseph à Lucy. Elle tente de le convaincre du contraire : «Si nous sortons de l’Union européenne, il y aura d’abord une récession. — D’accord. Et ce ne sera pas pareil que l’austérité ? —Une récession produira encore plus de misère, je suppose. —OK. Pourquoi y aura-t-il une récession ? — Parce que…» Que Lucy soit à la fois défavorabl­e au Brexit et à court d’explicatio­ns précises permettra à certains lecteurs de s’identifier encore davantage à elle : «Lucy rougissait encore de la conversati­on qu’elle avait eue avec Joseph à propos de la récession et de ses répercussi­ons sur le secteur du bâtiment, mais il s’avéra que tout le monde parlait de choses qui, à coup sûr, dépassaien­t leur compréhens­ion, et cela la rasséréna.» Non seulement Nick Hornby a raison, mais en plus le flottement de Lucy permet à Tout comme moi d’échapper à la leçon de choses. Joseph, lui aussi, y voit flou : «Ce qui semblait se profiler, c’était un match “nous” contre “les autres”, sauf que Joseph n’était pas très au fait de la compositio­n de chaque équipe.» Il se pourrait qu’il change de camp. L’Europe est-elle une force ou une entrave ? Ces questions d’actualité font l’objet de débats entre Lucy et Joseph, avec leurs amis et leur famille. L’avant-dernier roman de Nick Hornby,

State of the Union, traduit en français par Un mariage en dix actes (Stock, 2020), se passait également pendant le Brexit. Il présentait deux naufrages parallèles, celui d’un couple et celui de la Grande-Bretagne. Une série en a été tirée, écrite par Hornby et réalisée par Stephen Frears. Le succès fut au rendezvous, la deuxième saison est prête. Le Brexit a-t-il produit les effets que redoutait l’écrivain ? «La pandémie a caché le Brexit. L’amertume qui s’était exprimée lors du référendum s’est reportée sur le

confinemen­t. L’heure de vérité, c’est maintenant.»

Dickens. Son prochain livre est un essai qui pointe les ressemblan­ces entre Charles Dickens et Prince. Voilà bien une idée de Britanniqu­e : «Ce sont deux immenses travailleu­rs issus d’un milieu pauvre. C’est étonnant de voir combien de gens à l’enfance difficile sont devenus célèbres : Marilyn Monroe, Jimi Hendricks, James Dean. Dickens et Prince sont morts à force de trop travailler, et ils ont tous deux dépensé trop d’argent.» Passer un moment avec Nick Hornby est une bouffée d’air frais. Le lire aussi ; son roman est vivant et distrayant. Son humour est-il une exception au sein de la littératur­e britanniqu­e contempora­ine ? «Oui. Beaucoup de livres sont sinistres. En France, qu’en est-il ?»

Nick Hornby Tout comme toi Traduit de l’anglais par Christine Barbaste, Stock, 432 pp., 22,90 € (ebook : 16 €).

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Photo Chad Kirkland. Contour. Getty Images Nick Hornby, en janvier 2019.
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