Robbie Arnott, oiseau de valeur Chasse au mythe en Australie
On entre dans le roman comme dans un conte à l’heure du coucher, une petite graine d’imaginaire semée à chaque nouvelle phrase : «Une fermière vivait, tant bien que mal. Si elle plantait des céréales, elles ne germaient pas. Si elle faisait pousser du riz, il pourrissait.» Triste tableau, jusqu’à l’élément perturbateur de rigueur (une tempête noire) et l’apparition d’un «héron immense, couleur de pluie, surgissant des eaux à la verticale sans laisser la moindre onde à la surface». Le volatile ayant le pouvoir de faire la pluie et le beau temps, tout change pour la fermière : soudain son blé pousse et ses animaux gambadent. Tant que l’oiseau vole au-dessus de ses terres, la ferme prospère. La suite implique un voisin jaloux, le fils de ce dernier et une terrible fin pour notre héroïne. Voici la première partie d’un livre qui en compte cinq – ou quatre, considérant qu’on part de zéro, du mythe lui-même, des origines (et à l’origine, il y a toujours une histoire).
L’Oiseau de pluie, sorti en 2020 en Australie, finaliste du Miles Franklin Literary Award (le plus prestigieux des prix littéraires nationaux), est le deuxième roman de Robbie Arnott, auteur né en Tasmanie (en 1989) où il vit toujours. Flammes, traduit en2019 chez Actes Sud, avait installé sur l’île réputée sauvage un territoire d’écriture propice à la fantaisie (s’y croisaient entre autres une fille en feu et en fuite, un pêcheur de thons géants et un éleveur de wombats). Les lieux ne sont pas ici désignés, mais l’humeur est moins crépitante, le climat plus sombre. Car une fois la malheureuse fermière enterrée, des soldats débarquent dans la foulée, emmenés par une jeune femme lieutenant: en des temps où les saisons se dérèglent, ils viennent attraper l’oiseau prodige. La troupe commence à pister la «créature aquatique, changeante, vaporeuse» avec en toile de fond cette question, posée à plus d’un titre : peut-on capturer un mythe, le mettre en cage ?
La constante, outre la galerie de personnages féminins durs à cuire, c’est la splendeur des alentours, dans un ensemble au croisement du réalisme magique et du nature writing. Retournons-nous au hasard: «Une forêt respirait autour d’eux, vaste et tachetée de lumière. […] A la limite des arbres s’étendaient des prairies moussues, découpées par d’antiques murets de pierre irréguliers. Ces prés s’élevaient abruptement jusqu’au sommet des collines arrondies, qu’ils couronnaient d’herbe vaporeuse. Ils s’ennuageaient ici et là de quelques moutons, ou bien des chèvres, bien qu’il n’y eût aucun berger en vue.» La narration s’enfonce dans la vallée aussi profondément que dans les intériorités. Et l’oiseau aqueux, belle idée, permettra non seulement de faire tomber la pluie, mais surtout au lieutenant de fendre l’armure et de verser quelques larmes. «Quel sujet vaut la peine, à part nos mères ?» s’entend-elle demander à quelques pages du dénouement. La réponse se cache peut-être en chemin : «Les vieilles femmes meurent, même les grandsmères qui escaladent des montagnes en pleine nuit.»
Robbie Arnott L’Oiseau de pluie Traduit de l’anglais (Australie) par Laure Manceau. Gaïa, 272 pp., 22,50 € (ebook : 16,99 €).