Libération

Fabrice Caro, bilan mal an

- Par Marie-Claire Segonds Professeur des écoles

Tout part d’une simple enveloppe reçue un beau jour. Même pas ouverte. Une enveloppe bleue, mais pas n’importe quel bleu (le détail a son importance). Cette enveloppe adressée par l’Assurance maladie invite le narrateur à réaliser un test de dépistage du cancer colorectal. C’est normal, tout individu de plus de 50 ans reçoit cette douce missive à l’approche de son anniversai­re. Mais justement, notre héros n’a pas encore 50 ans, il n’en a «que» 46.

Cette anomalie administra­tive, qu’il essaye avec perplexité de résoudre, conduit le narrateur à un bilan de son existence familiale, amicale, profession­nelle. Comment en est-il arrivé là, si vite, sans s’apercevoir que le temps passait? Il nous fait partager ces sauts incongrus de l’existence, ces raccourcis fulgurants qui nous font passer d’un moment exaltant de montage de Playmobil avec son enfant de 5 ans, à un rendez-vous humiliant avec le responsabl­e du collège pour un dessin scabreux mettant en scène deux de ses professeur­s. Est-ce bien le même enfant ? Est-on bien le même parent ? Il nous parle aussi de son couple (mais en est-ce vraiment un? Pourrait-il toujours se former aujourd’hui ?), de ses amis et collègues (mais finalement qu’ont-ils en commun ?).

Le thème de la crise existentie­lle de milieu de vie n’est pas nouveau. Mais ici, tout le récit se déroule sur le mode du monologue intérieur, plein d’humour, d’autodérisi­on et de mélancolie. De rêve aussi. Et si tout n’était pas déjà écrit ? ou plutôt dit, car entre les mots que l’on s’imagine et ceux que l’on prononce, l’écart peut être immense. L’auteur, Fabrice Caro, est surtout connu pour ses bandes dessinées (en particulie­r Zaï zaï zaï zaï, adapté au théâtre et désormais au cinéma). Broadway, parmi d’autres récits, nous montre tout son talent de romancier dans cette comédie douce-amère. Au-delà des rires et sourires qui m’ont échappé à sa lecture, j’ai trouvé très attachant ce personnage au regard distancié qui semble flotter au-dessus de lui-même. Jusqu’à la dernière page, au dernier mot, le suspense est maintenu sur la direction qu’il va décider de donner à son existence. •

Fabrice Caro Broadway

Folio, 208 pp., 7,60 €.

Est paru également cette semaine Samouraï (Gallimard «Sygne»).

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Photo Nanda GONZAGUE Fabrice Caro, en décembre 2017.

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