La figure du styliste
Dès l’annonce du décès de Virgil Abloh, fondateur de la marque italienne Off-White et directeur artistique du prêt-à-porter masculin chez Louis Vuitton, le petit monde de la mode se demandait secrètement qui le remplacerait. Tandis qu’on attend toujours de Vuitton son habemus papam, Off-White vient de nommer Ibrahim («Ib») Kamara. Ce dernier est un collaborateur historique d’Abloh : l’option de la continuité a été retenue. Ce qui peut surprendre, c’est que Kamara est styliste, pas designer. La différence n’est pas mince, car sélectionner et assembler les vêtements pour un défilé, une série de mode, un compte Instagram, n’équivaut pas à les créer. Les stylistes très demandés, comme Grace Coddington, Carine Roitfeld, Marie-Amélie Sauvé ou Ib Kamara (qui est aussi rédacteur en chef du magazine anglais Dazed), se partagent entre la presse et les marques mais, jusqu’ici, la direction artistique des maisons restait la prérogative des designers. Est-ce le symptôme d’une mutation actuelle de la mode ? Le savoir-faire s’est déplacé, de la confection à l’image, mais les designers de prêt-à-porter des années 60, qui se faisaient d’ailleurs appeler «stylistes», semblaient déjà s’éloigner de la réalité matérielle du vêtement qu’ils se contentaient de dessiner (alors que les couturiers le produisaient effectivement). Aujourd’hui, l’innovation et l’expérimentation concernent moins la coupe, les matières, ou les proportions, que leur mise en scène et leur communication. La règle tacite des défilés de ces dernières années – matraquer les codes de marque – profite naturellement aux stylistes : il ne s’agit plus de proposer une garde-robe nouvelle, trop risquée commercialement, mais de circonscrire pour chaque griffe une identité facile à reconnaître. Virgil Abloh disait qu’on avait déjà vu tous les vêtements possibles, il avait peutêtre raison après tout.