Le RN fait semblant d’y croire un peu
Le président du parti d’extrême droite, Jordan Bardella, a lancé la campagne mercredi à Paris, tentant de mettre un terme à une période de flottement après la défaite de Marine Le Pen au second tour. Les ambitions mesurées pour ce scrutin laissent une impression brouillonne.
C«La politique, c’est un rapport de force, c’est un peu violent oui. Là, c’est la guerre.»
Philippe Olivier proche conseiller de Marine Le Pen au sujet de Reconquête
omme cela ne semble pas aller de soi, deux grands panneaux bien en évidence au siège du RN permettent de le rappeler : le Rassemblement national est «la seule opposition à Macron» pour les législatives de juin. Après deux semaines de vasouille au cours desquelles Marine Le Pen a comme disparu de la scène politique, le parti d’extrême droite entend récupérer sa place, chipée par un Jean-Luc Mélenchon en première ligne face au président de la République. Ou, plutôt: il fait mine de le vouloir. Car, dans les faits, telle n’est pas vraiment l’impression donnée par la finaliste malheureuse.
Sortie de ses vacances médiatiques post-second tour, la patronne du RN s’est fendue d’un 20 heures, mardi soir, sur TF1, pour y soutenir que «la logique des institutions veut que le président de la République ait une majorité – tous ceux qui racontent autre chose racontent des fables». Un enthousiasme modéré, pas vraiment de nature à mobiliser un électorat déjà enclin à bouder les urnes hors scrutin présidentiel – en 2017, les 10 millions de bulletins lepénistes au second tour avaient accouché d’un peu moins de 3 millions de voix aux législatives. «Il y a un pessimisme naturel au RN, les historiques ont tellement perdu de batailles», reconnaît un cadre. Le Pen a ensuite filé en catimini, mercredi matin, sur un marché de sa circonscription, à côté d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), laissant à Jordan Bardella l’ingrate tâche de lancer la campagne législative.
Devant ses deux grands panneaux velléitaires, le président bénévole du RN, détendu, baskets blanches, sans cravate – lui-même n’est pas candidat– a donc fait oeuvre d’équilibriste : dénigrer la prétention de Jean-Luc Mélenchon à vouloir gagner les élections de juin (lire cicontre) tout en essayant soi-même de ne pas donner l’air de partir trop perdant. «Un espoir s’est levé et il incombe désormais au peuple français de lui donner de la force», déclamet-il, tout en avertissant que l’échéance «constitue donc la dernière sortie d’autoroute avant la ligne droite», mais qu’il est «impossible» de donner un «objectif chiffré du nombre d’élus espérés».
«IL Y A EU UN VIDE»
Tout cela laisse une impression quelque peu brouillonne. De fait, la stratégie des législatives n’a pas vraiment été réfléchie par les lepénistes qui doivent se résoudre de mauvaise grâce à se faire manger la soupe sur la tête par les insoumis. «La campagne finie, l’équipe s’est dispersée et les anciens sont revenus. Il y a eu un vide pendant que la présidente se reposait», explique-t-on au siège. L’enjeu est donc, sinon de rattraper son retard, au moins de limiter la casse. «Ce n’est pas la peine de s’énerver sur le pont quand il n’y a pas de vent. Il y a un temps pour tout, là les gens ne veulent pas entendre parler de politique. La campagne commence à peine», relativise Philippe Olivier, proche conseiller de Le Pen.
Il n’empêche, en privé, les cadres lepénistes confessent des buts de guerre assez modestes : la constitution d’un groupe parlementaire, soit 15 députés minimum contre 6 actuellement. «Ça changerait tout, un groupe : ça permettrait à des élus de se spécialiser, de monter en gamme, d’avoir des profils identifiés sur des sujets. On ne pourra plus nous reprocher d’être seuls», salive déjà Renaud Labaye, directeur de cabinet de Marine Le Pen, qui s’en verrait bien le secrétaire général. Sans compter le temps de parole décuplé. Pour tout cela, pas besoin de plus d’une grosse vingtaine de députés : effectif qui permettrait de garder la main sur les ambitions des cadres émergents, dans un parti habitué à compter ses figures sur les doigts des deux mains.
Chez les frères ennemis de Reconquête, les gradés pensent que le RN joue la défaite aux législatives. «Si on ajoute nos 7 % [aux 23 % de Marine Le Pen, ndlr], on peut être au second tour dans 360 circos au lieu de 180 seuls. Le fait qu’ils balaient ça est invraisemblable. Ils veulent juste cadenasser leur futur groupe. Ils préfèrent en avoir 15 seuls que 50 avec nous», peste un membre du bureau exécutif, bon connaisseur du mouvement lepéniste dont il est issu. Pour avoir plaidé en faveur de l’union des extrêmes droites, le Niçois Philippe Vardon, proche de Marion Maréchal, s’est vu refuser l’investiture dans la 3e circonscription des Alpes-Maritimes. L’ex-leader identitaire prévoit de maintenir sa candidature dissidente et pourrait entrainer avec lui hors du RN l’ensemble du groupe municipal frontiste.
Le sacrifice en vaut la peine s’il permet de se débarrasser à bon compte d’un concurrent, estiment les frontistes. «La politique, c’est un rapport de force, c’est un peu violent oui. Là, c’est la guerre», assume Philippe Olivier. «Au nom de quoi on sacrifierait nos candidats pour soutenir des Reconquête ? Ils ont besoin qu’on aille leur faire du bouche-à-bouche pour sauver leurs candidats, mais on n’est pas le Samu. Moi je ne veux pas : chez moi ils grappillent des points à LR !» siffle le député du Nord, Sébastien Chenu. Sur le fond, Bardella avance publiquement le programme économique beaucoup plus libéral des zemmouriens. La radicalité de l’ex-candidat sur d’autres sujets aussi, même si elle est moins mise en avant au RN. «Ce n’est pas parce qu’on est contre l’immigration qu’on doit être ensemble. Il veut nous renvoyer au fond des années 80, moi je n’y retourne pas», tranche Olivier.
PARACHUTÉS
Pour justifier son nom, le Rassemblement national met tout de même en avant une petite dizaine de personnalités dites «d’ouverture». On y trouve le transfuge zemmourien
Pierre Meurin (4e du Gard), l’ancien inspecteur général de l’éducation nationale Roger Chudeau (2e du Loir-et-Cher), un ancien de l’UMP passé par Debout la France, Pierre Morenvillier (5e de la Meurthe-et-Moselle) ou encore un ancien adjoint de Christian Estrosi, Benoît Kandel (3e des Alpes-Maritimes). Du menu fretin. Dans la huitième de l’Essonne, le RN ne présentera pas de candidat face à Nicolas Dupont-Aignan, pas plus que face à la députée sortante de la Ligue du Sud, Marie-France Lorho (4e du Vaucluse).
Une dizaine de cadres sont aussi parachutés sous des cieux favorables, parmi lesquels l’attachée de presse de la patronne, Caroline Parmentier (9e du Pas-de-Calais) ou le porte-parole Laurent Jacobelli (8e de la Moselle). Quelques dents ont bien grincé mais dans l’ensemble, et si l’on excepte le cas niçois, les investitures se sont passées sans heurts. «Notre ambition est de faire émerger une nouvelle élite pour le pays», affiche Bardella. Vieux refrain.