Libération

Mélenchon, rival électoral en diable

Dans les rangs du RN et de Reconquête, la campagne de l’insoumis pour les législativ­es, notamment avec l’union des gauches, fascine des militants et en rend d’autres fébriles.

- N.Ma.

Au-dessus du lit des militants d’extrême droite, entre l’affiche de Charles Martel et l’icône de Jeanne d’Arc : le poster de Jean-Luc Mélenchon. Difficile à croire mais vrai. Depuis trois semaines, le leader insoumis a fait son entrée dans le panthéon de nombre de partisans d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen. «Maestro», «génie», a-t-on pu entendre au détour de conversati­ons. Sur le fond, bien sûr, l’ancien socialiste reste le grand méchant loup «islamo-gauchiste» et «antiflics» qu’on rêve de voir repoussé, autant qu’on l’est soimême, en dehors du cercle des candidats jugés républicai­ns. Cela ne les empêche pas pour autant de siffler, parfois haut et fort, leur admiration pour l’artiste politique, défait pour la troisième fois dès le premier tour de la présidenti­elle, mais aussitôt remonté en selle pour s’installer dans le siège du meilleur opposant à Emmanuel Macron – selon un sondage datant de début mai.

«Leçon de politique».

Les hommages les plus échevelés ont cours du côté de Reconquête. «Quel pragmatism­e, et quel sens politique !» s’est exclamé il y a dix jours le patron luimême dans sa première prise de parole depuis son éliminatio­n (à 7%). «La gauche nous donne une leçon de politique depuis une semaine», applaudit un cadre du sud, d’autant plus dithyrambi­que que Mélenchon réalise l’union des partis de gauche là où le RN a opposé un refus catégoriqu­e aux multiples propositio­ns d’accord venues de son concurrent d’extrême droite. Le contraste se fait grandissan­t. Depuis quelques semaines, Zemmour donne l’impression de copier, mal, la stratégie du leader insoumis pour tirer son épingle du jeu des législativ­es. En plein entre-deux tours, le troisième homme de la présidenti­elle propose aux Français d’enjamber le duel Macron-Le Pen en l’élisant Premier ministre le 19 juin. Dans la foulée, l’ex du Figaro lui emboîte le pas et propose une «initiative politique» sous la forme d’une coalition électorale comprenant le RN, son parti et une part des Républicai­ns anti-macroniste­s. Fin de non-recevoir des intéressés.

Huit jours après le second tour, Zemmour se remet à regarder la copie du voisin. Il choisit donc, tout pareil que lui, l’émission de Bruce Toussaint sur BFM TV pour sortir du silence… Sauf qu’aucun message clair ne ressort de l’exercice, dans lequel le sexagénair­e encore bronzé se borne à expliquer qu’il aurait gagné sans Poutine, et se révèle incapable de dire s’il sera candidat ou non en juin. Là où son opposant semble tourné vers l’avenir, Zemmour, lui, ressasse sa splendeur médiatique passée – l’époque où, donné à moins de 10 % dans les sondages, Mélenchon venait le solliciter pour croiser le fer à la télé et se donner ainsi un peu plus d’écho médiatique. «J’invite vos téléspecta­teurs à regarder ce débat [de septembre, ndlr] et le débat d’entre-deux tours et ils verront quel est le vrai clivage, quel est le vrai enjeu», conjure l’ancien combattant désormais snobé par l’insoumis.

Pointe de tendresse.

Autour de Marine Le Pen, rapidement reléguée au second plan après son échec le 24 avril, les hommages se disent du bout des lèvres. «J’ai toujours dit que c’était un sacré client», reconnaît Philippe Olivier, proche conseiller de la finaliste. «Il a réussi un coup stratégiqu­e», abonde Sébastien Chenu, député frontiste du Nord. A l’époque où la barque lepéniste tanguait fort sous l’effet de la nouvelle offre concurrent­e d’extrême droite, les cadres parlaient du leader de gauche, une pointe de tendresse dans la voix. «Dans cette période troublée, ce sont les candidatur­es solides et identifiée­s comme celles de Mélenchon et de Marine qui tireront leur épingle du jeu», promettait alors Jordan Bardella, président bénévole du RN. La musique a changé. Marine Le Pen a dû quitter ses vacances, dimanche, pour ne pas laisser totalement le champ libre à son poursuivan­t de gauche. Sur un marché d’Hénin-Beaumont, la députée du Pas-de-Calais s’en est prise à lui avant même d’égratigner le Président. «La fable de Jean-Luc Mélenchon opposant à Emmanuel Macron, on va peut-être arrêter, maintenant… Ça a duré quinze jours, ça a fait rire tout le monde», s’est-elle agacée, renvoyant l’insoumis à un rôle de «fou du roi». Depuis, les coups pleuvent. «On se bat pour la deuxième place», reconnaît un proche de Marine Le Pen.

Autour d’elle, les cadres embouchent la partition du «calme des vieilles troupes» et attendent l’erreur de leur adversaire. «Nous, on ne s’agite jamais. En 2017, Mélenchon jouait déjà au premier opposant, avec le paquet de pâtes à l’Assemblée, les conneries, etc. Nous, on faisait le boulot. Résultat : on gagne les européenne­s» deux ans plus tard, se rassure Philippe Olivier. Il ajoute, confiant : «La campagne ne fait que commencer. Il va se prendre une campagne de diabolisat­ion, méritée. Le discours antipolice, la complaisan­ce vis-à-vis des islamistes, la culture de la sédition, de la désobéissa­nce : il charrie le désordre. Les bourgeois en ont peur.» Laisser l’insoumis incarner «le bruit et la fureur» dans l’espoir de voir se former contre ses candidats des «fronts républicai­ns» inversés… Après Zemmour, le RN aimerait trouver en Mélenchon son nouveau paratonner­re.

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