FORMATION NON MIXTE D’AGRICULTRICES «Ça aide à ne pas se sentir jugées»
Dans le Périgord, un groupe de femmes se forme à la maîtrise du tracteur. Un apprentissage collectif qui permet aux participantes de gagner en autonomie.
«Conduite, entretien, maintenance.» Distribué sur les tables, un fascicule orné de photos de tracteurs annonce le programme. Dans la salle de cours de la maison familiale rurale (MFR) de Thiviers, au château de la Filolie, en Dordogne, douze agricultrices sont venues de tout le département pour en apprendre davantage sur le maniement de cet engin. «J’aimerais gagner en autonomie, explique Jeanne Rousseau, paysanne-boulangère avec son compagnon. Sur la ferme, c’est plutôt lui qui utilise le tracteur.» «Moi je le conduis mais c’est mon mari qui l’entretient», renchérit Coralise Paugam. Après des études de psychologie et plusieurs années de salariat agricole, elle a récemment repris un élevage de vaches allaitantes. Pour cette journée de formation, la trentenaire a apporté la notice de son vieux tracteur, une liste de questions sur «la fréquence et le type d’entretiens à réaliser» et les Doigts coupés, un livre de l’anthropologue Paola Tabet. «Elle montre que, dans les peuples primaires, la division du travail entre hommes et femmes est fondée sur l’appropriation des outils les plus performants par les hommes», résume-t-elle à ses camarades.
TRONÇONNEUSE
Comme elle, certaines veulent pouvoir prendre soin de leurs vieilles machines et acquérir du vocabulaire mécanique. D’autres souhaitent dépasser leur appréhension au volant, connaître les règles pour éviter de «cabaner» sur une parcelle en pente ou encore comprendre la logique qui préside aux mouvements de la remorque en marche arrière. Alors que le tracteur est un outil quasiment indispensable à la ferme, son utilisation et son entretien demeurent largement l’apanage des hommes. Cette formation imaginée par le collectif
Agricultrice 24 vise à fournir des clés à ses participantes pour qu’elles s’en emparent elles aussi. Créé il y a un peu plus d’un an au sein d’Agrobio Périgord, l’association de développement de l’agriculture bio en Dordogne, ce groupe organise, outre des visites de fermes et des temps d’échange, des formations techniques entre femmes, sur le maniement de la tronçonneuse ou donc, comme en ce début mai, sur le tracteur –une session de 154 euros la journée, financée par les crédits à la formation professionnelle de chaque agricultrice. Au tableau, Laura Baillard, formatrice en conduite d’engins agricoles à la MFR qui participe elle-même aux travaux sur la ferme familiale avec son conjoint et son beau-frère, débute par un point théorique et le rappel des différents éléments constituant la bête d’acier et ses dispositifs d’attelage : chandelles, bras de levage, stabilisateurs. Vêtue d’une combinaison vert sapin, elle emmène ensuite ses ouailles faire le tour de l’atelier et découvrir les quatre tracteurs, bleu, rouge, vert et orange, des modèles de marques différentes et plus ou moins anciens, qu’elles vont devoir prendre en main
La pause méridienne est pour les élèves l’occasion d’échanger sur leurs pratiques, de comparer la tête des premiers épis de blé apparus au champ et de glisser quelques blagues sur les réactions des hommes de leur entourage quant à leur participation à cette journée. Il y a les jaloux – pas forcément plus à l’aise qu’elles et qui auraient volontiers suivi aussi la formation – et les dubitatifs qui semblent se demander ce qu’elles peuvent bien y faire. «On va apprendre à décorer les tracteurs !» ironise Alice Parot, tout récemment installée comme éleveuse caprine. Si toutes ne sont pas au départ de farouches partisanes de la non-mixité, elles constatent des avantages à se retrouver uniquement entre femmes. «Ça aide à ne pas se sentir jugées, à être plus à l’aise, sans que quelqu’un n’adopte une posture paternaliste», souligne Oriane Claude. Productrice de petits fruits depuis bientôt trois ans, elle souhaite aussi apprendre les réflexes de sécurité, un volet qu’elle estime parfois négligé par ses confrères. «On n’est pas là pour se péter le dos ou avoir un accident», insiste-t-elle.
Comment arrêter un tracteur, comment en monter et en descendre sans risque de chute? Laura Baillard émaille justement ses interventions de conseils pour éviter les accidents. Assise sur les bras inférieurs de l’attelage, elle montre à ses élèves comment connecter la prise de force de l’engin à un outil en utilisant tout son corps pour préserver ses lombaires. Par petits groupes, les agricultrices s’affairent autour des véhicules pour en repérer les différents éléments, vérifier les niveaux ou l’état des filtres à air.
DÉPASSER SES LIMITES
Soudain, une clameur se fait entendre : une partie d’entre elles a réussi à identifier le subtil coup de main permettant de soulever le capot du John Deere. Des bravos fusent lorsque Thien Uyen Do, productrice de plantes aromatiques après une carrière de juriste et en cours de formation en BTS viticulture oenologie, met l’un des monstres de métal en mouvement. L’apprentissage en groupe suscite l’émulation et permet aux élèves d’acquérir des gestes techniques et de prendre confiance en elles. Les participantes s’échangent aussi des astuces pour se faciliter le quotidien, comme le fait d’avoir toujours sur soi une massette pour décoincer les mécanismes récalcitrants ou le nom de l’enseigne où se procurer des gants adaptés. Un partage d’expérience très utile pour ces professionnelles qui, pour la plupart, ont embrassé l’agriculture sans que cela ne soit une tradition familiale.
«C’est le point sensible de ceux et celles que l’on appelle les Nima, pour non-issus du milieu agricole, qui représentent entre 40 % et 60 % des installations en Dordogne. Contrairement aux enfants d’agriculteurs qui ont grandi les fesses vissées sur un tracteur, il leur manque souvent de la pratique et une certaine culture agricole», souligne Marine Julien, directrice d’Agrobio Périgord et animatrice du collectif.
Pour les femmes, le phénomène est renforcé par le poids des habitudes qui contribue à les tenir éloignées de certaines tâches. «En couple, on se répartit vite les travaux de la ferme. Il y a quand même quelque chose de très genré dans ce partage», constate Jeanne – dix ans d’agriculture au compteur et bien décidée à dépasser ses limites pour être capable de remplacer son compagnon en cas de besoin. Déjà, le groupe réfléchit à l’organisation de nouvelles formations, notamment sur l’art de la soudure, très utile pour réparer ou consolider à moindre coût le matériel. Un moyen d’élargir encore le champ des compétences.