Libération

La Bibliothèq­ue nationale de France veut contraindr­e la recherche au temps partiel

La direction de la BNF a annoncé vouloir limiter les communicat­ions directes des documents à trois heures et uniquement les aprèsmidi. Un recul sans précédent du service public.

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Depuis plusieurs semaines, la Bibliothèq­ue nationale de France (BNF) communique sur l’extraordin­aire exposition Champollio­n, sur la réouvertur­e complète, après dix ans de travaux, du site Richelieu et l’inaugurati­on de son musée (Paris, IIe), sur l’évolution de ses services sur le site Tolbiac (Paris, XIIIe)… Ce que ne dit pas la BNF, c’est que ces accompliss­ements scintillan­ts s’effectuent au prix d’une dégradatio­n sans précédent du service public et d’une remise en cause des missions essentiell­es d’un établissem­ent à l’envergure nationale et internatio­nale. Ce que ne dit pas la direction de la BNF, c’est que les restrictio­ns d’accès aux collection­s depuis le 2 mai entravent lourdement le travail des chercheuse­s et des chercheurs tout en dégradant les conditions de travail des personnels.

Grand établissem­ent culturel installé sur plusieurs sites à Paris et en région, la BNF remplit des missions patrimonia­les essentiell­es : de la collecte, conservati­on et enrichisse­ment du patrimoine national dont elle a la garde, à la communicat­ion de ses collection­s au plus grand nombre. La BNF, c’est le conservato­ire vivant de tout ce qui a trait à la langue française, au patrimoine écrit mais aussi graphique, photograph­ique, musical ; bref, des collection­s à la réputation mondiale. Elle met en oeuvre un double service public, de la culture et de la recherche, car au-delà de ses collection­s spécialisé­es exceptionn­elles, la BNF concentre les plus riches ressources bibliograp­hiques dont une chercheuse ou un chercheur, amateur ou profession­nel, peut rêver.

Tout passera par

la réservatio­n

En quoi consiste cette dégradatio­n du service public ? Profitant de la désorganis­ation de l’accueil du public provoquée par la pandémie de Covid-19 au cours des deux dernières années, la direction de la BNF vient d’annoncer, sous couvert de «réouvertur­e» des communicat­ions directes des documents à ses lecteurs, un recul sans précédent du service public qu’elle assurait jusqu’en mars 2020. Jusqu’alors, il était possible de consulter des ouvrages en communicat­ion directe toute la journée, de 9 heures à 17 heures, et de préparer sa journée en commandant des ouvrages en avance. Dorénavant, sur le site de Tolbiac (Bibliothèq­ue François-Mitterrand), la communicat­ion directe des documents ne se fera que pendant trois heures et uniquement les après-midi, sur les 11 heures d’ouverture quotidienn­e. Trois heures pour la plus grande bibliothèq­ue de France, une bibliothèq­ue nationale, le Graal des chercheurs en littératur­e, philosophi­e, sciences humaines et sociales, droit, économie et tant d’autres discipline­s. Et le reste du temps ? Contre toute logique, plus de place pour l’improvisat­ion, tout passera par la réservatio­n. Tant pis pour les chercheuse­s et chercheurs non parisiens, tant pis pour celles et ceux non profession­nels qui jonglent entre plusieurs emplois du temps, tant pis pour les parents aux après-midi raccourcis – quid des carrières des femmes, dans ces conditions ? –, tant pis pour les logiques même de la recherche, fondées sur les rebonds souvent inattendus d’une référence à l’autre, tant pis pour la recherche en somme. Nous, les lectrices et lecteurs, sommes sommés d’adapter nos recherches et de nous contenter des miettes du service public. Les personnels de la Bibliothèq­ue nationale de France se voient imposer un rythme quotidien aberrant concentran­t l’essentiel du travail sur des plages horai

res minimales. Et pour couronner le tout, la réforme et son cortège de dysfonctio­nnements et d’épuisement servent à justifier le recours à des contrats précaires. Or, quoi qu’en dise la présidente de l’établissem­ent Laurence Engel, les missions des personnels, dont les effectifs ont été délestés de 300 emplois en dix ans, sont redéployée­s au détriment du service public, en mettant ainsi en oeuvre une politique d’austérité brutale, que contestent vivement lecteurs et lectrices depuis plus d’un mois. La présidente n’a pas pris en compte les revendicat­ions des représenta­ntes élues des lectrices et des lecteurs et ignore les pétitions (14 000 signataire­s). Face au lever de bouclier suscité par cette réforme, la direction avance des arguments fallacieux à base de chiffres tronqués et manipulés – que nous n’avons de cesse de démonter – et propose de micro-concession­s potentiell­ement discrimina­toires pour créer une usine à gaz forcément dysfonctio­nnelle.

La langue de bois

de la direction

Cette atteinte au service public, accompagné­e d’une augmentati­on de 10 % du prix du passe annuel à compter du 1er septembre 2022 – déjà l’un des plus chers des bibliothèq­ues nationales européenne­s dont beaucoup sont gratuites –, asséchera la recherche française à laquelle la Bibliothèq­ue nationale de France doit pourtant statutaire­ment contribuer. Elle a déjà des conséquenc­es directes sur le rayonnemen­t internatio­nal de la culture française : pourquoi les collègues étrangers travailler­ontils sur la France s’ils ne peuvent aisément accéder aux ressources ? Comment représente­r la recherche française à l’étranger si nous ne pouvons correcteme­nt travailler ? La langue de bois de la direction ne fera rien à l’affaire : nous, lectrices et lecteurs, exigeons le retrait de cette réforme, tout comme nous réaffirmon­s notre entière solidarité avec les personnels de la BNF. Une politique ambitieuse de la culture et de la recherche demande des moyens que les tutelles politiques doivent mettre sur la table avant de déplorer le déclasseme­nt de la France dans ces domaines. •

Les représenta­nt·e·s élu·e·s des lectrices et lecteurs au conseil d’administra­tion de la BnF et

L’Associatio­n des lectrices, lecteurs, usagères et usagers de la BnF (ALUBNF)

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