Petits plaisirs
Retrouver le plaisir d’observer l’autre. De repérer un matin une moustache extravagante. Un nez incroyable. Beau ou laid, on ne sait pas. De s’interroger sur la destination mystérieuse d’un sourire éclatant. Mais où vat-elle, cette voisine de banquette, cette inconnue qui a l’air si heureux ? De divaguer à l’inverse sur les raisons de cette immense fatigue que traduit le bâillement de cet homme aux mains plâtreuses, aux yeux fermés et à la tête qui dans un doux va-etvient frappe la vitre du wagon, se redresse, recogne la vitre… D’offrir un vrai sourire et pas seulement des yeux plissés par la tendresse à ce gamin qui, dans sa poussette, observe avec ses billes grandes ouvertes ces étranges adultes que nous sommes.
On est d’accord : les transports en commun ne permettent pas tout le temps ces petits plaisirs, notamment aux heures de pointe, notamment quand cela fait quinze ans que ces cinquantecinq minutes de transhumance entre boulot et dodo usent les meilleures volontés. Mais ils permettent aussi cela : regarder l’autre et laisser l’autre vous regarder. C’est-à-dire exister. Voilà pourquoi la fin du port du masque dans les transports est une bonne nouvelle. Ciel, des visages entiers ! Les épidémiologistes expliquent qu’il ne s’agit pas de s’emballer et que cette levée du plus symbolique des gestes barrières ne doit pas être interprétée comme la disparition du virus. De nouveaux variants s’activent. Et il faut se préparer à remettre le masque si besoin car il est aussi synonyme de protection et d’attention portée à l’autre. Mais plus que tout, le masque symbolise depuis deux ans cette sociabilité anormale à laquelle nous nous sommes heureusement pliés mais à laquelle nous nous sommes parfois malheureusement habitués. Ce repli sur soi dont on ne mesure pas encore complètement toutes les conséquences sur notre état mental collectif. Il y a urgence à panser cette plaie-là. Cela commence peut-être par se réjouir que l’autre apparaisse de nouveau sous nos yeux, à visage découvert. •