Pap Ndiaye, la surprise de Macron à l’Education
Spécialiste d’histoire sociale des Etats-Unis et des minorités, l’universitaire aura, entre autres dossiers majeurs, la subtile tâche de renouer un lien de confiance avec la communauté éducative, largement méprisée par son prédécesseur.
Il est l’invité surprise de ce gouvernement Borne. L’historien spécialiste d’histoire sociale des Etats-Unis et des minorités est nommé ministre de l’Education nationale. Un profil universitaire universaliste sans aucune expérience politique tranchant avec celui de son prédécesseur Jean-Michel Blanquer, connu pour sa guerre effrénée contre le «wokisme». Pap Ndiaye quitte ainsi précipitamment le poste de directeur général du Palais de la Porte dorée à Paris, où il avait été nommé par Emmanuel Macron en février 2021 pour un mandat de trois ans. Il entendait faire de ce lieu, qui héberge notamment le Musée national de l’Histoire de l’immigration, un berceau de débats sur les questions d’identité et de colonisation. Natif d’Antony (Hauts-de-Seine), cet agrégé d’histoire de 56 ans a évolué de 2012 à 2021 dans les travées de Sciences-Po Paris comme professeur des universités mais aussi directeur du département d’histoire de l’Institut d’études politiques. Le normalien, passé par les classes préparatoires littéraires du lycée Henri-IV, avait fait ses débuts comme maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales après plusieurs années d’études aux Etats-Unis. Au Monde, il se définissait en 2009 comme «un produit de l’école républicaine française et de l’affirmative action américaine», une référence au programme d’égalité des chances instauré dans les années 60 dans ce pays lui ayant permis d’obtenir une bourse d’études. «Compagnon de route» du Conseil représentatif des associations noires, il fonde en 2004, avec Patrick Lozès, le Cercle d’action pour la promotion de la diversité en France. Engagé, l’intellectuel s’est aussi illustré dans le milieu culturel sous la casquette de conseiller scientifique de l’exposition «le Modèle noir» au musée d’Orsay et comme auteur du rapport sur les questions de diversité à l’Opéra national de Paris. Etranger à l’administration de la rue de Grenelle, Pap Ndiaye avait appelé à voter pour François Hollande en 2012 dans une tribune parue dans l’Obs.
Antiraciste. Sur le plan intellectuel, la nomination de Pap Ndiaye opère un virage à 180 degrés par rapport à son prédécesseur. Auteur d’ouvrages sur la condition noire, l’universitaire, qui revendique un engagement antiraciste, déclarait en 2017 dans un entretien au Monde qu’«il existe bien un racisme structurel en France». Un an plus tard, il avait critiqué la suppression du mot «race» de la Constitution, estimant que cela pourrait porter préjudice à ce combat. En 2021, en pleine polémique sur le wokisme, abondamment nourrie par Blanquer, il avait estimé que «la vraie violence est bien du côté des groupes paramilitaires fascisants, et non de celui du woke». Vendredi, lors de la passation de pouvoir, le ministre déchu l’a mis en garde : «Cette vigilance sur nosvaleurs, vous en êtes le garant.»
Il devra immédiatement régler une urgence: le retour des mathématiques dans le tronc commun pour les élèves de première générale. La matière avait sauté lors de la réforme du lycée, restant réservée à ceux qui la choisissaient en spécialité. Mais, face à la dégringolade du nombre d’adolescents, et surtout d’adolescentes, suivant cet enseignement, l’exécutif a rétropédalé. Les lycéens de première générale seront donc censés, dès septembre, avoir, quelles que soient leurs spécialités, une heure et demie de maths par semaine. Problème : rien n’est prêt. Aucune publication officielle n’a encore entériné ce changement, alors que les élèves de seconde sont censés faire leurs choix d’orientation dans les jours qui viennent et que nombre de personnels appellent à un report d’un an de la réforme. Viendra ensuite le moment de s’atteler à la grande concertation sur l’école voulue par Macron. Des rencontres seront organisées avec la communauté éducative et les collectivités locales afin de définir les modalités de déploiement du programme du Président. Car ce dernier l’assume : l’école ne sera pas réformée partout de la même façon.
Musique. Charge au ministre d’être vigilant sur le casting : lors du Grenelle de l’éducation, mené entre octobre 2020 et février 2021, les ateliers avaient parfois été menés par des personnalités extérieures au monde de l’éducation et aux profils surprenants, telles un ancien joueur du XV de France ou une ex-patronne de l’Inspection générale de la police nationale. Le raout avait accouché d’une souris – une revalorisation des salaires des enseignants en début et milieu de carrière seulement, de quelques dizaines d’euros tout au plus et sans caractère pérenne – mais avait permis à Blanquer de s’enorgueillir auprès de l’opinion publique d’avoir accordé aux professeurs une augmentation «historique».
La hausse de la rémunération des enseignants est justement l’un des sujets brûlants qui attend Pap Ndiaye. Le Président s’est engagé à les augmenter, tout en entretenant le flou sur les contours de cette revalorisation. Pap Ndiaye devra également mettre en musique le développement de l’autonomie des établissements, lesquels seront encouragés à définir des projets adaptés aux besoins spécifiques de leur territoire et auront les mains libres pour adapter rythmes scolaires et méthodes d’enseignement. Un package qui inclut la participation des directeurs et directrices d’écoles aux recrutements, point de crispation majeur parmi les profs. Audelà du fond de cette politique, dont le libéralisme ne manquera pas de s’attirer la résistance d’une partie de la communauté éducative, Pap Ndiaye devra en soigner la forme. Après cinq années à se sentir méprisés par leur ministre, les enseignants et leurs collègues ont besoin d’un ministre qui les respecte.