Libération

Pour l’Environnem­ent, un coup d’épée dans l’écolo

La nomination d’Amélie de Montchalin à la Transition écologique, en tandem avec Agnès Pannier-Runacher, est une déception vu l’ampleur de la tâche.

- Aurore Coulaud et Coralie Schaub

En matière d’environnem­ent, la nouvelle architectu­re du gouverneme­nt est inédite et déroutante. Pour la première fois, comme Macron l’avait souhaité, c’est un trio de femmes qui est chargé de piloter la transition écologique. Le tout sous la houlette d’Elisabeth Borne, Première ministre chargée de la planificat­ion écologique et énergétiqu­e, qui a aussi annoncé vendredi la création d’un secrétaria­t général chargé de ces questions. L’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire sera bien la seule des trois à connaître le sujet. Le duo de ministres qui «appuiera» celle-ci n’a pas du tout le profil écolo. Ni Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétiqu­e, ni Amélie de Montchalin, celle de la Transition écologique et de la Cohésion des territoire­s. Deux macroniste­s au pedigree très libéral. Avant de rejoindre le gouverneme­nt Borne, Pannier-Runacher, 47 ans, fut déléguée chargée de l’Industrie dans le gouverneme­nt Castex. «Elle aura au moins ce gage de légitimité-là, une relation de confiance déjà présente avec ces secteurs», juge Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développem­ent durable et des relations internatio­nales. Cette fervente partisane du nucléaire est raccord avec la ligne macroniste sur l’atome.

«Innovation». Mais pour «faire de la France la première grande nation à sortir du pétrole, du gaz et du charbon», l’ex-énarque et inspectric­e des Finances «devra d’abord planifier une stratégie de sobriété énergétiqu­e, car l’énergie qui pollue le moins est celle qu’on ne consomme pas», avait insisté Macron. Ce qui ne passe pas par le «tout-technologi­que», n’en déplaise à la nouvelle ministre adepte de «l’écologie des solutions» basée sur «l’innovation et la science». L’objectif de baisse de la consommati­on énergétiqu­e passe par la «suppressio­n de nombreux gaspillage­s, par exemple par la rénovation énergétiqu­e des logements [et] une transforma­tion profonde de notre système de transports, de production industriel­le, d’organisati­on du territoire et de mode de consommati­on», souligne la Fabrique écologique (LFE), un think-tank «transparti­san». LFE déplore qu’en France, «les débats se concentren­t sur la production d’électricit­é (places respective­s du nucléaire et des renouvelab­les)», un sujet qui «a peu d’impact climatique, notre électricit­é étant déjà largement décarbonée». Côté renouvelab­les, la France est le seul pays

de l’UE à ne pas remplir ses objectifs. Le candidat Macron s’est engagé à décupler la puissance installée pour le solaire et doubler celle de l’éolien terrestre d’ici 2050, tout en déployant 50 parcs éoliens en mer pour répondre à nos besoins immédiats, sachant que la mise en service des six EPR qu’il souhaite n’interviend­ra pas avant quinze ans. Selon Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelab­les, «l’important est la feuille de route […] pour accélérer le déploiemen­t des énergies renouvelab­les, et on ne la connaît pas encore exactement». Pour Benoît Leguet, directeur général d’I4CE–Institut de l’économie pour le climat, «dans cette transition, un seul mot est à proscrire : procrastin­er».

Non-sens. Nulle trace d’engagement écolo non plus chez Montchalin, 36 ans. D’abord proche de l’UMP, elle a rejoint En marche en 2016 avant d’être élue députée de l’Essonne en 2017 et d’entrer au gouverneme­nt en 2019 comme secrétaire d’Etat aux Affaires européenne­s. Passée par HEC et Harvard, elle a exercé chez BNP Paribas et chez Axa. Elle sera chargée de mener la «planificat­ion écologique territoria­le» dans les transports ou encore la rénovation des logements. «Sur un sujet considéré comme majeur, c’est surprenant d’avoir des personnes qui n’ont ni le profil ni un engagement dans le passé», glisse Géraud Guibert, président de LFE. Même surprise chez Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. La structure du gouverneme­nt et les intitulés des ministères interrogen­t aussi. Cela prouve que Macron n’a toujours pas intégré le fait que la transition est transversa­le, touche tous les sujets et tous les secteurs, qu’il faut cesser de penser en silos. Isoler l’énergie et le climat des autres enjeux écologique­s est un non-sens scientifiq­ue. Les experts du Giec et de l’IPBES le rappellent sans cesse. La biodiversi­té, qui disposait jusqu’ici d’un secrétaria­t d’Etat, ne devient qu’une des composante­s de la «planificat­ion écologique territoria­le». Certains s’inquiètent aussi de ce que l’administra­tion de l’énergie s’éloigne du ministère de l’Ecologie − acquis du Grenelle de 2007− et se rapproche de Bercy, moins «écolo». Pour savoir si l’ambition écolo est là, enfin, il faut attendre les décrets d’attributio­n des ministres. Et surtout le projet de loi de finances.

 ?? ?? Amélie de Montchalin, ici à Paris le 30 mars, devient ministre de la Transition écologique et de la Cohésion
Amélie de Montchalin, ici à Paris le 30 mars, devient ministre de la Transition écologique et de la Cohésion
 ?? Photo Denis Allard ??
Photo Denis Allard

Newspapers in French

Newspapers from France