Libération

Rima Abdul Malak à la Culture, un casting «iconoclast­e»

La nomination de l’ex-conseillèr­e de Macron, à qui on doit l’année blanche des intermitte­nts ou l’«été apprenant», est vue comme une «bonne nouvelle» pour des voix du secteur.

- Ève Beauvallet avec Claire Moulène

Souvenons-nous du casting des artistes réunis autour de Macron début mai 2020 (les Nakache-Toledano, Mathilde Monnier ou Catherine Ringer) pour le désormais célèbre grand show présidenti­el en bras de chemise daddy cool où tonnait l’étonnante punchline «enfourcher le tigre» : c’était elle. Plus généraleme­nt, depuis début 2020, la majeure partie des prises de décisions gouverneme­ntales en matière de culture, c’était aussi elle : l’«été culturel et apprenant» (temps fort de l’éducation artistique et culturelle mis en place à l’été 2020) entre autres, l’annonce déterminan­te de l’année blanche pour les intermitte­nts du spectacle, la mise en place d’un fonds d’indemnisat­ion qui a permis la reprise des tournages, la création d’un programme de 30 millions d’euros de commandes artistique­s prioritair­ement à destinatio­n des jeunes créateurs. Et surtout, les nomination­s : José-Manuel Gonçalves au CentQuatre, Régine Hatchondo au Centre national du livre, Emilie Delorme au Conservato­ire de Paris, ce serait aussi elle… Si l’essentiel des décisions gouverneme­ntales en matière de culture ne se prend plus au ministère mais à l’Elysée, comme le déplorent certaines voix depuis quelques années, alors Rima Abdul Malak, jusqu’à présent puissante dame de l’ombre, conseillèr­e culture de Macron, ne découvrira pas totalement le métier en prenant au sein du gouverneme­nt le fauteuil de Roselyne Bachelot, ministre dont on savait qu’elle ne rempilerai­t pas. Le portrait que l’Obs lui consacrait début 2021 s’intitulait «l’Autre ministre de la culture» et la décrivait en «shadow minister» bien plus puissante que la ministre elle-même, installée, elle, sur un fauteuil qu’on dit mal rembourré et éjectable. En effet, le turn-over au ministère a poursuivi une course particuliè­rement endiablée durant le premier quinquenna­t (des mandats d’à peine deux ans, en moyenne, comment voulez-vous…). Attendons de voir si Abdul Malak fera mentir la règle.

Humanitair­e. C’est pour plusieurs voix du secteur culturel une «bonne nouvelle» de voir cette ancienne directrice de Clowns sans frontières à la carrière internatio­nale, qui organisait des spectacles pour enfants dans les zones de guerre, très investie dans les projets d’éducation populaire et la défense de la diversité des cultures, entrer sous les feux rue de Valois. Emmanuel Macron l’avait placée en poste en décembre 2019, en remplaceme­nt de Claudia Ferrazzi, celle à qui l’on doit le si controvers­é et coûteux projet du pass culture.

Née en 1978, arrivée à l’âge de 10 ans à Lyon après une enfance au Liban, Rima Abdul Malak partage notamment avec Bachelot l’amour du spectacle vivant. Après une carrière dans l’humanitair­e, elle a été nommée à la tête du pôle musique actuelles de l’Institut français. Forte de plusieurs postes culturels à la mairie de Paris, elle devient en 2010 la directrice de cabinet de l’adjoint à la culture du maire de Paris, Christophe Girard, avant d’être choisie comme conseillèr­e culture du maire, Bertrand Delanoë. En 2014, elle est nommée attachée culturelle à New York, où elle a défendu, se

rappelle un directeur d’institutio­n culturelle, «des formats d’avant-garde plutôt audacieux. Elle est assez proche de la création contempora­ine…» La directrice d’une fondation d’art contempora­in la décrit comme une «iconoclast­e qui est hyper sensible à la réalité des artistes et au soutien à la création».

«Ultratechn­o». On la dit aussi dynamique, pas trop langue de bois, allergique à la novlangue des politiques publiques, très agile et mondaine. Emmanuel Négrier, du CNRS, pointe un profil «ultratechn­o qui aura à apprendre à faire de la politique. L’expérience a souvent montré que les ministres ayant le plus de difficulté avec leur ministère étaient ceux qui étaient issus du secteur». C’est au sein d’un ministère allégé d’un certain nombre de ses prérogativ­es, confronté au poids grandissan­t des collectivi­tés territoria­les et des mastodonte­s du privé (géants du numérique, fondations LVMH ou Pinault), souffrant d’un manque d’incarnatio­n et de vision que la nouvelle locataire de Valois posera ses bagages. «L’autre difficulté, reprend Emmanuel Négrier, sera d’identifier et d’étendre les marges de manoeuvre stratégiqu­es, dans uncontexte où elles auront tendance à se restreindr­e… La ressource tirée de sa proximité avec le Président [ils s’enverraien­t des poèmes par SMS], de ce point de vue, peut s’avérer intéressan­te si l’on se souvient du rôle que cette ressource avait joué pour Jack Lang avec Mitterrand…»

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Photo Julien de Rosa. AFP Rima Abdul Malak au ministère de la Culture, vendredi.
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Photo Albert Facelly

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