Financement de la culture En Auvergne-RhôneAlpes, Laurent Wauquiez ne retient pas ses coupes
Dans un document interne consulté par «Libé», et dont l’existence est niée par l’entourage du président du conseil régional, le financement de la vie culturelle, en baisse dans toute la région, serait attribué selon des critères politiques. Un clientélism
C’est une liste de plus de 300 occurrences détaillant les aides que la région Auvergne-Rhône-Alpes projette d’accorder aux acteurs culturels de son territoire en 2022. Un tableau bardé de chiffres, qui regroupe grandes institutions et petits établissements, compagnies et associations, festivals, organismes de formation, industries du cinéma, du livre et du numérique, arts plastiques, spectacle vivant, musique, patrimoine… Dans ce document interne que Libération s’est procuré, on retrouve les budgets de fonctionnement alloués en 2021 et ceux que les services de la collectivité préconisent pour 2022. La première colonne qui suit ces recommandations est estampillée «arbitrage président».
Il s’agit bien sûr du très droitier Laurent Wauquiez, réélu en 2021 à la tête de la deuxième région de France (8 millions d’habitants), pourtant classée avant-dernière en matière de financement de la culture. Fin avril, la collectivité a annoncé réduire drastiquement les subventions accordées à un certain nombre d’institutions culturelles, en majorité situées dans les métropoles de Lyon et de Grenoble. La raison invoquée : un «rééquilibrage solidaire et équitable», afin «d’irriguer la culture jusque dans les territoires les plus éloignés». Depuis, le cabinet de Wauquiez se retranche derrière l’argument du maintien d’un budget culturel équivalent à celui de 2021, à hauteur de 62 millions d’euros en 2022. Et indique que depuis 2016, les métropoles de la région percevaient 60% des aides accordées –un chiffre invérifiable, faute de documents fournis aux élus.
«Ce qui est dingue, c’est ce surarbitrage du président qui cible Lyon, Villeurbanne et Grenoble, souligne une source interne à la région. Ce sont les deux plus grosses métropoles de la région, mais surtout les territoires de ses opposants politiques [les écologistes et la gauche].» Ce rééquilibrage n’aurait pourtant «absolument rien à voir avec un sujet politique», a assuré à Libé le cabinet de Wauquiez, indiquant par ailleurs qu’«il n’existe pas de liste», puisque les «subventions seront soumises au vote des élus au fil de l’eau lors des commissions permanentes à venir». Certes, les chiffres avancés dans cette liste – qui existe bel et bien – sont provisoires, mais l’équipe de Wauquiez dispose de la majorité au sein de l’hémicycle régional.
«Arbitraire»
La prochaine commission permanente du 25 mai a été précédée vendredi d’une commission culture qui s’annonçait tendue. Dans un courrier adressé le 9 mai à Laurent Wauquiez, des conseillers de l’opposition régionale (Europe Ecologie-les Verts, Parti socialiste et Parti radical de gauche) se sont insurgés contre l’absence de «critères transparents» et ce qui leur semble «plutôt relever en permanence de l’arbitraire ou sans doute du clientélisme». «C’est un mix des deux : du clientélisme et du n’importe quoi, qui mélange absurdité, bêtise et méconnaissance», confirme une source à la région. A qui pourrait bénéficier ce rééquilibrage ? Aux «petits festivals éloignés des grands centres urbains», a indiqué le cabinet de Wauquiez, ajoutant que «la filière livre, la filière arts plastiques et la filière cinéma» ne seraient pas concernées par les baisses. Le document interne démontre le contraire. Les secteurs les plus touchés sont le livre (- 30 % du budget global) et les arts plastiques (- 28,5 %), derrière les festivals (-32%). Le cinéma, en revanche, voit ses dotations augmenter à la marge (près de 1%). Le secteur de la formation et celui du spectacle vivant sont, eux, concernés par des diminutions, respectivement de 18,5 % et 16 %. Une curiosité : la coupe de 39% sur le patrimoine, un faire-valoir pourtant cher à Wauquiez. En fait, deux établissements portent à eux seuls cette amputation, qui pourrait provoquer leur fermeture : le musée Tony-Garnier de Lyon, dont la subvention, qui devait passer de 35 000 euros à zéro, pourrait faire l’objet d’un rétropédalage de la région, et ARC-Nucléart à Grenoble, un atelier-laboratoire spécialiste de la conservation et la restauration archéologique unique en Europe, dont l’enveloppe de 75 000 euros est supprimée. Comment de telles diminutions sont-elles possibles alors qu’un budget global constant est annoncé? Le cabinet de Wauquiez souligne la «mise en oeuvre d’un fonds Covid de 500 000 euros mobilisés en fonction des demandes des structures», «plutôt à court terme». Mais hormis cela, «il y a la volonté de la direction des finances de se désendetter, de geler le budget par anticipation, explique une source. Déjà, durant le premier mandat, il y a eu des transferts de lignes de fonctionnement à des lignes d’investissement, des tableaux budgétaires ont été trafiqués pour fabriquer de l’investissement. Là, c’est encore plus direct, on sabre dans du fonctionnement». Selon les élus de l’opposition, les baisses appliquées s’élèveraient à plus de 4 millions d’euros depuis le début de l’année. En septembre 2021, une note interne du directeur général des services (DGS), que Libération a consultée, a fixé un «objectif d’une baisse de dépenses [de fonctionnement] d’une cinquantaine de millions d’euros au global» pour 2022, devant se traduire par une diminution de 7 % des budgets de chaque branche. L’information a suscité un tollé dans l’opposition. Alors «il y a eu un démenti du DGS puis le vote en reconduction du budget culture,
retrace une source. Mais ensuite, à l’oral, on nous a demandé de cibler - 13 %». Cette gestion verticale, exempte de concertation, instaure une forme de «terreur budgétaire», estime Cédric van Styvendael, maire de Villeurbanne et vice-président à la culture de la métropole de Lyon, qui constate que «les acteurs culturels sont tétanisés face à cette oeuvre de déconstruction menée sur les territoires». Le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, dénonce pour sa part une «instrumentalisation» de la culture, qu’il assimile à «des méthodes d’extrême droite», dignes de «régimes autoritaires».
Moulinette budgétaire
La fameuse liste permet d’établir un parallèle troublant avec une carte électorale favorable à Laurent Wauquiez. En Isère et dans la métropole de Lyon, les baisses globales atteignent plus de 22 %.
Dans la métropole de Grenoble, parmi les structures lourdement touchées, on trouve notamment la salle de spectacle la Belle Electrique (- 54 % en 2022 et une mention dans le tableau indiquant un «retrait p ossible en [20]23»). L’orchestre de chambre de Grenoble les Musiciens du Louvre perd, lui, l’intégralité de sa dotation de 100 000 euros. A titre de comparaison, l’Ensemble orchestral contemporain de Saint-Etienne (une autre métropole, mais de droite) conserve ses 125 000 euros. En Isère, des villes font figure de privilégiées : pas de baisse pour la régie municipale des Abattoirs de Bourgoin-Jallieu, ex-bastion de la gauche ravi en 2014 par le maire Les Républicains Vincent Chriqui, ancien conseiller de François Fillon. La subvention de 150000 euros du festival Jazz à Vienne est reconduite à l’identique: c’est Thierry Kovacs, conseiller régional LR, qui dirige cette ville de 30 000 habitants. A Lyon, l’hécatombe s’élève selon l’opposition à près de 2 millions d’euros en moins pour les acteurs installés sur le territoire municipal et à une baisse de 2,5 millions sur celui de la métropole. Deux structures sortent indemnes de la moulinette budgétaire: le Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, la commune d’Alexandre Vincendet, à la tête de la fédération LR du Rhône, et l’association Pôles en scènes de Bron, tenue depuis 2020 par un jeune maire proche de Wauquiez, Jérémie Bréaud.
Dans onze des treize départements que comprend la région AuvergneRhône-Alpes, les baisses restent contenues, avec une moyenne de 10,3%. Allier, Cantal, Rhône, Puyde-Dôme, Savoie, Haute-Savoie, Ain, Haute-Loire, Loire, Drôme, Ardèche : tous les conseils départementaux de ces territoires sont dirigés par des présidents Les Républicains ou des centristes à la tête d’une alliance de la droite. Au Puy-en-Velay, dont Wauquiez a été maire de 2008 à 2016, l’office du tourisme qui organise depuis 2013 le festival des Nuits de Saint-Jacques bénéficie toujours d’une dotation généreuse (42500 euros). Dans la Drôme, la Comédie de Valence, ville dirigée par le LR Nicolas Daragon, est épargnée. Et la scène nationale Lux, pour qui les services prévoyaient une baisse de 13 %, est repêchée par l’arbitrage du président, qui la réduit à 5%. Tandis qu’une baisse de près de 14% est appliquée au théâtre de Die, une ville de 4 800 âmes dirigée par une maire divers gauche…
Outil sur mesure
A Montélimar (40 000 habitants), remporté par le LR Julien Cornillet en 2020, le festival De l’écrit à l’écran voit même son enveloppe enfler de 15 000 à 25 000 euros. Cette ligne budgétaire est accompagnée d’une annotation : «A valider avec Ange Sitbon pour que le festival ne revienne pas en plus sur le FIC.» Le FIC, c’est le fonds d’intervention culturelle, qui devrait bénéficier d’un budget de fonctionnement de 511 150 euros en 2022. Cet outil a été créé sur mesure pour Ange Sitbon, spécialiste de la carte électorale à l’UMP puis à LR, qui a intégré le cabinet de Laurent Wauquiez en 2016. Très proche du président de région, en charge des relations avec les territoires, il dispose du FIC pour rétribuer les élus locaux postulant à des subventions sans toutefois remplir les critères établis par les services. Le même Ange Sitbon dont la rémunération (9000 euros par mois), jugée disproportionnée par la Chambre régionale des comptes, fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du Parquet national financier.