Libération

«C’est scandaleux de voir combien la Croatie régresse sur le droit à l’IVG»

- Eva Moysan (à Zagreb)

Début mai, le droit à l’avortement en Croatie a été propulsé au coeur du débat public par Mirela Cavajda, âgée de 39 ans et enceinte de six mois. Une grossesse souhaitée jusqu’à un examen fin avril qui révèle une tumeur au cerveau du foetus, des chances de survie presque nulles ou des séquelles irréversib­les pour le futur enfant. Mirela décide d’interrompr­e sa grossesse. La Croatie autorise l’avortement sur demande jusqu’à la dixième semaine et sans délai en cas de risques graves pour la santé de la mère ou de l’enfant. Pourtant, la jeune femme se voit refuser l’IVG par quatre hôpitaux à Zagreb. Les équipes médicales invoquent le fait qu’elles ne peuvent confirmer le diagnostic ou ne sont pas équipées pour procéder à l’acte. Avec son avocate, Mirela Cavajda décide de faire connaître publiqueme­nt sa situation.

L’IVG est autorisée depuis 1978, quand la Croatie faisait partie de la Yougoslavi­e. Mais depuis quelques années, ce droit est remis en cause sous la pression de l’Eglise catholique, proche du gouverneme­nt conservate­ur du parti HDZ.

Les récits d’IVG transformé­es en calvaire se multiplien­t. Comme pour Mia où tout se complique quand le gynécologu­e lui annonce qu’elle est enceinte de quatorze semaines, soit plus que le délai légal pour un avortement sur demande. L’étudiante s’était pourtant rendue à l’hôpital quelques semaines plus tôt, malade et nauséeuse. «Je n’avais plus mes règles. On m’avait répondu que c’était parce que j’avais eu le Covid», raconte Mia. Elle est renvoyée chez elle avec une simple ordonnance: «Personne ne m’a dit que j’étais enceinte.» Quand on lui annonce sa grossesse, plus d’un mois après, elle tente d’expliquer cette histoire au personnel médical. «On m’a juste répété que l’IVG était illégal après dix semaines.» Après des heures à fouiller Internet, elle tombe sur l’associatio­n Hrabre Sestre («Soeurs courageuse­s» en croate). Ce réseau de femmes lui permettra de se rendre aux Pays-Bas, où l’IVG est autorisé jusqu’à la vingt-quatrième semaine.

Mia le sait et le dit, elle n’est pas un cas isolé dans ce pays de 4millions d’habitants. Les associatio­ns de défense des droits des femmes rapportent de nombreux témoignage­s de maltraitan­ce par le personnel gynécologi­que, de refus de donner des informatio­ns sur les recours possibles, de reports de rendez-vous après le délai de dix semaines. «C’est scandaleux de voir combien mon pays régresse, de comprendre que le droit à l’avortement, que je considérai­s comme normal en 1997, est de moins en moins respecté», s’insurge Sandra qui a eu recours à l’IVG à 18 ans, en 1997. Pour la gynécologu­e Jasenka Grujic, «des chefs de service félicitent ostensible­ment ceux qui demandent l’objection de conscience pour refuser de pratiquer des avortement­s». En 2019, 59 % des praticiens invoquaien­t cette clause, principale­ment en raison de leur foi catholique. Un paradoxe dans ce pays où 86% de la population se déclare catholique et une très large majorité – entre 60 et 80 % selon les sondages – en faveur du droit à l’avortement.

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