Libération

Foreigner Provocatio­n mode d’emploi

Les voies du rock sont impénétrab­les. Malgré le scandale provoqué par la pochette de son troisième album, le groupe anglo-américain n’a jamais connu les affres de la censure… ni expliqué les raisons de cette iconograph­ie.

- Benoît Carretier

Le mystère.

En 1979, Foreigner semble sur le toit du monde. Deux albums en deux ans, vendus par camions entiers, et un troisième en approche. En interne, c’est une autre histoire. Minés par les abus, deux des fondateurs se retirent. Pour illustrer cet ultime disque commun, il faut une image forte. Aujourd’hui encore, on ne sait pas comment l’idée d’une gamine habillée en incarnatio­n vivante du fantasme de l’écolière, en train de nettoyer avec du papier hygiénique un graffiti que l’on suppose compromett­ant dans les toilettes des garçons, a pu germer dans la tête de la directrice artistique Sandra Young. Ni dans quelles conditions Chris Callis, photograph­e rock plutôt classique des années 70 et 80 (on lui doit des pochettes de Prince, Stan Getz ou Cameo) a réalisé son cliché. Ni pourquoi, comme si elle voulait ulcérer une Amérique qui s’apprête à porter Reagan au pouvoir, Young a retouché l’image pour lui donner de faux airs de Norman Rockwell, chantre de l’Amérique éternelle.

Le modèle.

Mais qui est cette fille en jupettes assise sur une pissotière ? Une profession­nelle, enfant star du mannequina­t. Fallait-il avoir l’habitude des objectifs pour oser poser pour une image aussi trouble. Mais Lisanne Falk n’est pas n’importe quel modèle. Au sein de l’agence Ford, elle marche sur les traces de sa collègue Brooke Shields, qui a posé nue à 10 ans pour Gary Gross dans une série de clichés qui ont fait scandale et, à 14 ans, interprété une prostituée dans la Petite de Louis Malle. Si Falk est restée dans l’histoire de la mode comme l’une des enfants mannequins les plus accomplies, sa reconversi­on en actrice n’a pas laissé une grande trace.

Le scandale.

Dès les premières critiques dans la presse, le verdict est sans appel. Head Games est un bon album, mais la pochette révulse. Pourtant, l’image ne sera étrangemen­t jamais censurée. A l’inverse de celle du Virgin Killers de Scorpions, sorti trois ans plus tôt, mètre étalon de la limite à ne pas franchir. Une partie du public y voit une ode nostalgiqu­e aux années lycée, tandis qu’une autre n’en revient pas qu’une fille de 14 ans à l’air paniqué et en socquettes blanches, une enfant star qui plus est, incarne un album dont le titre, polysémiqu­e, signifie à la fois jeux d’esprit, manipulati­on et masturbati­on. Et encore, elle n’a pas écouté le disque, dont les paroles font une fixette sur les femmes, les voitures et tout ce qu’on peut faire sur une banquette arrière.

 ?? ?? Foreigner Head Games (1979)
Foreigner Head Games (1979)

Newspapers in French

Newspapers from France