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Versailles Le maître et la jeune pousse

Jardinier en chef du château royal, Alain Baraton, qui sort un livre pour enfants, a guidé Joseph, 5 ans, à travers ses jardins. L’occasion d’apprendre à planter des tulipes, d’admirer une glycine centenaire ou d’observer les cochons…

- Par Marie Ottavi Photos Adrien Selbert

C’est l’histoire d’une rencontre entre un vieux sage à la main verte et un enfant, haut comme trois pommes et avide de savoir. Alain Baraton, 64 ans, jardinier en chef du château de Versailles et voix célèbre de France Inter (1), a donné rendez-vous à Joseph, notre fils de 5 ans et jeune «lecteur» de son dernier livre pensé pour les enfants (2), devant le Grand Trianon à l’heure du goûter. A l’ombre d’un tilleul, le petit pose sa première question : «On est chez

Louis XV ?»

En convoquant «Louis le bien-aimé» dans la conversati­on, Joseph est tombé presque dans le mille. Baraton veut justement lui montrer les pépinières érigées au temps du monarque. Louis XV a fait construire cette orangerie «pour être au plus près des savants qui s’occupaient de botanique, discipline extrêmemen­t importante jusqu’au XIXe siècle», rappellet-il. Le lieu a longtemps servi de laboratoir­e. «Du temps de Louis XV, on a cultivé ici les premiers pieds de pommes de terre. Le roi avait aussi une collection de fraisiers et quantité de fraises y ont été produites.» Aujourd’hui, dans cette arrière-cour méconnue, infime partie du domaine de 815 hectares, poussent des tulipes qui seront bientôt replantées plus loin. Baraton a longtemps travaillé avec Alain Ducasse, fournissan­t en légumes le Plaza Athénée où officiait le chef jusqu’en juin 2021. Une nouvelle aventure s’apprête à commencer, olfactive cette fois. «Nous sommes en train de créer un jardin des odeurs avec Francis Kurkdjian, le directeur des parfums Dior, indique-t-il. Notre pépinière permettra aux visiteurs de découvrir toutes les plantes qui entrent dans la compositio­n des parfums. Giovanni, avec qui je travaille ici, va en faire pousser qui ont des odeurs de chocolat, de chamallow, de Malabar, de merde aussi.» L’enfant tend l’oreille et rit. Alain Baraton ne met plus si souvent les mains dans la terre, contrairem­ent à Giovanni, 30 ans, qui apprend à Joseph à planter des bulbes de tulipe et lui confie un petit sécateur qu’il tient fièrement dans la main gauche. Le chef, lui, coordonne, crée les parterres et surveille les travaux sur le terrain.

«c’est une petite partie de la planète»

Alain Baraton et Versailles, c’est l’histoire d’une vie. Il a littéralem­ent grandi dans le domaine : arrivé stagiaire en 1976, jardinier en chef depuis 1981, il a, dit-il, «encore deux ou trois ans devant lui avant qu’on [l] e mette dehors». Originaire de La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), il est logé sur le domaine depuis son premier contrat. «Je rêvais d’être photograph­e, mais la vie, mes parents surtout, en a décidé autrement», raconte-t-il en observant les gestes du jeune visiteur. «Joseph, ça te ferait plaisir d’aller voir des bêtes ? Qu’est-ce que tu aimerais voir comme animal ? — Des tigres! —Ah ça, on n’a pas en stock.» «T’as quoi ? Des araignées ?» interroge le garçon. «Tu aimerais voir quoi ? — Une souris.» Alain Baraton sourit et emmène l’enfant au hameau de la Reine. «Dans le livre, on parle aussi des animaux, car le jardin, ce n’est pas seulement des plantes. C’est un lieu où il y a des oiseaux. Si on a une pièce d’eau, il faut forcément des poissons. Il y a également des chiens, des chats, des petits rongeurs, des grenouille­s. Un jardin, c’est une petite partie de la planète, où vit un monde entier.»

«La reine est toujours vivante ?»

Sur le chemin qui nous mène au hameau, sorte de petit village où vivent confortabl­ement lapins, cochons, chèvres et moutons, on passe devant une glycine majestueus­e de 100 ans d’âge, courant sur la façade de l’une des trois orangeries du domaine. Joseph a encore des questions à poser : «La reine est toujours vivante ?» «Non, elle a mal fini. —Pourquoi? —C’est un peu long, on t’expliquera plus tard.» Alain Baraton se charge de la visite: «Marie-Antoinette avait besoin de se rapprocher de la nature, elle a donc créé un village qui correspond­ait à ses aspiration­s, simple, rustique, sans aucun protocole et sans prétention. Regarde le cochon là-bas, Joseph.» L’enfant répond sans y aller par quatre chemins : «Il mange plus pour qu’on le mange.»

Baraton, personnage chaleureux et pédagogue accueillan­t, montre

quelques signes de lassitude à l’évocation du jardinier toujours en tablier, figure sympathiqu­e mais jamais vraiment estimée à sa juste valeur. Il n’aime pas par ailleurs le terme de paysagiste : «Pour une raison simple : André Le Nôtre, qui a créé la majeure partie des jardins à Versailles, était jardinier. Paysagiste, ça sous-entend qu’on transforme le paysage. Ici, on ne le modifie pas, le décor reste le même.» Et de citer Saint-Exupéry et Freud, qui ont tous deux fait part de leur envie et parfois de leur regret de ne pas avoir assez mis les mains dans la terre, car «le jardin est une école de patience et d’observatio­n», confirme notre hôte.

Alain Baraton a écrit ce livre pour converser avec la jeunesse sans cacher qu’il aimerait aussi redorer le blason de sa profession : «Je serais heureux si un gamin a envie de devenir jardinier après l’avoir lu. J’ai tellement souffert de l’image négative renvoyée par le jardinier.» On le classe pourtant spontanéme­nt dans la catégorie des métiers nobles. «C’est ce que me disent les maires des grandes villes mais je constate que quand ils organisent des cocktails, ils n’en invitent aucun. On en parle dans d’excellents termes, on se permet même une certaine familiarit­é en disant “mon jardinier” alors qu’on ne dira pas “mon” en désignant un collaborat­eur important. On les aime bien car ils ne manifesten­t pas. Ce sont des gens gentils généraleme­nt, toujours prêts à rendre service, qui renvoient pour beaucoup une image limite de benêt.»

Contre toute attente, le confinemen­t n’a pas aidé, assure-t-il. «Ça a laissé croire que si vous étiez capable de faire un jardin, c’est que ce métier n’est finalement pas si difficile. Quantité d’élus, par exemple, me donnaient presque des conseils sur la façon de tailler les rosiers. On est encore sous-considérés et je le déplore un peu.»

Pour tordre le cou aux clichés, il sillonne les écoles, accueille des enfants de tous les milieux, ouvre ses serres à des jeunes de Mantes-laJolie. «J’ai mis en place avec d’autres services des ateliers de jardinage pour des enfants dits “à problèmes”, qui vivent dans le béton, dans des zones de très grande insécurité. Dans le cadre d’une formation sur une année, ils réalisent une oeuvre végétale qui sera exposée. C’est beau de les voir s’extasier devant la présence des écureuils et travailler conscienci­eusement.» Il a constaté que «le simple fait d’avoir planté un végétal enfant peut donner envie de faire ce métier». «Joseph va peutêtre se demander ce qu’est devenue la fleur dont il s’est occupé aujourd’hui. Imaginons qu’on lui fasse planter un petit arbre, dans trente ou quarantean­s, il le retrouvera peut-être ici.»

L’enfant s’affaire à creuser un trou pour ses fleurs. «Joseph, tu sais qu’on peut faire du mal à une plante, tu dois donc y aller doucement. Il faut tasser la terre et lui donner de l’eau. Toi, tu bois, eh bien une plante aussi a besoin d’eau.» Joseph répond un oui sage et timide. Il suit le conseil et tasse la terre avec ses mains. «Après, elle deviendra un arbre comme ça ?» demande-t-il au maître en montrant un tilleul. «Non, il y a la plante qui donne des fleurs et ensuite, il y a les arbres. Tu sais combien de temps ça peut vivre un arbre?» «Plus que nous?» «Beaucoup plus que nous !» répond Alain Baraton.

Des pâquerette­s dans les poches

«Joseph, ça te ferait

plaisir d’aller voir des bêtes ? Qu’estce que tu aimerais voir comme

animal ? — Des tigres ! — Ah ça, on n’a pas

en stock. — T’as quoi ? Des

araignées ?»

«Toute notre vie défile quand on parle de jardin, constate encore l’expert. Je sais par exemple que le papa de Joseph montait dans un cerisier quand il était petit, et qu’un jour, il a oublié son cartable sur une branche. Le jardin permet d’établir un contact et de poser les bonnes questions. Tiens, Joseph, ça sert à quoi un arbre ? — A donner de l’oxygène aux gens. — Oui ! C’est quand même extraordin­aire ! Et ça sert à quoi d’autre? —Je sais pas. —Est-ce qu’il y a des animaux qui vivent exclusivem­ent dans les arbres ?» «Oui, les singes», tente l’enfant. «Et en France, on trouve quoi? Des oiseaux! Les arbres servent à faire vivre ces animaux et à produire de l’oxygène, tu as raison.»

Pour aider Joseph à appréhende­r ses premiers pas au jardin, Alain Baraton rappelle qu’une plante, «quelle qu’elle soit, est un organisme vivant». «Elle naît, se reproduit, mange, boit, dort peut-être et meurt. Un jardin est un lieu de vie et quand les enfants intègrent cela et intègrent que dans un jardin, il y a deux qualités à avoir, le sens de l’observatio­n et la patience, ils ont tout compris.» Avant de perdre l’attention de son invité, il tire une carte en or de son chapeau : «Viens voir Joseph, je te montre un jardin secret.» Le garçon le suit gaiement.

Nous voici à l’écart d’un parterre d’arbres fruitiers, couverts de cerisiers, pêchers, brugnonier­s et d’un figuier. Au pied d’un haut mur se cache un immense laurier. Une rareté que le maître des lieux dévoile comme un trésor. Joseph, lui, glisse des pâquerette­s dans les poches d’Adrien, le photograph­e, et d’Alain Baraton, le jardinier. Sur le chemin du retour en voiture, on rencontre un faisan dans une allée désertée,

on pourchasse gentiment un écureuil et on aperçoit ce qui semble être un chevreuil, au loin. Au détour d’une allée, le jardinier en chef repère un camion suspect qui n’a rien à faire là et qui déguerpit en nous apercevant. «Qu’il se sauve comme ça, ça ne me plaît pas. Je ne vois pas ce qu’il vient faire là. Il a sûrement ses raisons, mais on a parfois quelques soucis: des gens qui viennent braconner, voler des trucs.» On part à la poursuite de l’intrus. L’enfant jubile et rit à gorge déployée. «Il va le gronder!» lance Joseph. Le chauffeur explique qu’il est là pour des travaux. On le laisse sans insister et on quitte la forêt – «qui est aussi un jardin», souligne

Alain Baraton – pour longer le grand canal, où des touristes, revenus en nombre, font de la barque. Avant de nous quitter, Baraton se souvient d’un orme de Sibérie qui vécut à deux pas. «J’ai connu un arbre merveilleu­x, planté par le jardinier de Louis XV et qui est mort dans les années 70…» C’est à ça qu’on reconnaît un vrai jardinier : il parle d’un arbre comme d’un vieil ami. •

(1) La Main verte, le samedi et le dimanche à 7 h 45 sur France Inter.

(2) Quand ça va quand ça va pas. Leur Jardin d’Alain Baraton, illustrati­ons de Laure Monloubou, 15 euros, 64 pp., Glénat jeunesse.

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«Il faut tasser la terre et lui donner de l’eau. Toi, Joseph, tu bois. Une plante aussi a besoin d’eau.»

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