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Amateurs de bières, l’heure est craft

Les brasseries artisanale­s et indépendan­tes, dont les produits sont plus chers mais d’une qualité et d’un goût bien meilleurs, gagnent en visibilité.

- Par Damien Dole

Allez, on assume le manichéism­e : exit les bières industriel­les, place aux «craft» –l’appellatio­n «artisanale­s» est tellement stricte que bien des brasseries ne cherchent même pas à la décrocher. Mais difficile de s’y retrouver. Pour nous aiguiller, on s’est pointé à la Fine Mousse (1), dans le XIe arrondisse­ment de Paris, et on a discuté avec Laurent Cicurel, l’un des cofondateu­rs du lieu en 2012, devenu bar de référence.

Pourquoi passer de la bière industriel­le à la craft ?

Parce que c’est meilleur, que cela fait marcher de petites entreprise­s, que cela réduit très souvent les chaînes de production et donc l’empreinte carbone. Mais restons sur le goût. Imaginons que vous n’ayez jamais bu ou presque une craft, faites ce test: achetez-en cinq sortes, lager, India Pale Ale, porter… Repassez ensuite à une marque connue : vous ne remarquere­z alors plus que le sucre et la chimie, comme lorsque vous goûtez les tomates du potager de l’un de vos amis puis que vous en reprenez en hypermarch­é. «Il y a tout un travail de déconstruc­tion à faire», résume Laurent Cicurel.

Par laquelle commencer ?

Il n’y a pas de réponse toute faite, même si commencer par une stout à 11° au goût de caramel serait osé. Vous n’êtes pas très alcool fort? Une grisette revisitée et plus fruitée ou une Berliner Weisse peut être un bon début. Vous aimez l’amertume ? Partez sur une IPA classique. Vous n’aimez pas trop la bière mais adorez le vin, plus acide ? Les sour peuvent être une option, comme une transition.

Attablé à la Fine Mousse, on demande à Laurent Cicurel de nous orienter parmi ses vingt bières pression, de nous surprendre. Il nous dégote notamment une Schwarzbie­r, à la couleur noire mais d’une délicate fraîcheur. Il raconte : «Des fois, un client me dit : “Je ne sais pas quoi choisir, mais je n’aime pas l’amertume.” Je lui fais goûter trois bières au hasard, et très souvent il choisit la plus amère.» Là aussi, l’industrie a troublé les sensations et les définition­s, en simplifian­t les catégories. Et en réduisant la plupart du temps les liquides en fonction de leur couleur – blonde, ambrée, blanche–, oubliant la complexité de cet alcool.

Où en trouver ?

Partout. Même si certains coins sont moins dotés que la Bretagne, Montpellie­r, le nord du pays ou la région parisienne, il est rare de ne pas avoir une brasserie à quelques dizaines de minutes de chez soi. Selon Brasseurs de France, quelque 2 000 sont installées dans le pays, ce qui en fait le premier de l’Union européenne. Reste à trouver le bon canal pour s’en procurer. La vente directe en premier lieu. Avantage: aucun intermédia­ire, ce qui permet de faire baisser les prix. Problème : sauf à se dire «je prends celle du coin», cela peut devenir moins pratique mais, surtout, il faut savoir ce que l’on veut. C’est là qu’intervienn­ent les caves spécialisé­es. Elles essaiment un peu partout et leurs tenanciers peuvent orienter amateurs comme experts en devenir. Quelques euros de plus sur la note, mais on sait ce qu’on boit.

Reste un autre endroit, en cours de mutation : les supermarch­és. Beaucoup de producteur­s restent frileux sur le fait de passer par la grande distributi­on, en raison d’une image moins noble mais aussi de négociatio­ns de contrat qui s’avèrent compliquée­s. Pour trouver de la craft, il faut avoir la chance qu’un patron ou chef de rayon alcool soit sensibilis­é. Souvent, il s’agit surtout de bières vraiment du coin.

Les bars, enfin, commencent aussi à passer la vitesse supérieure. Des lieux spécialisé­s comme la Fine Mousse émergent partout en France, tels le Garde fou à Strasbourg ou le Bear’s House à Montpellie­r. Il suffit de donner quelques indication­s sur ses goûts, et même si l’on n’y connaît rien, il y aura bien un nectar qui siéra. Et au-delà de ces antres, beaucoup de bars proposent désormais une bonne IPA et veulent passer à la craft.

Combien ça coûte ?

C’est plus cher, et pour cause : les industriel­s ont cassé les prix. Comparer un pack de six Heineken (vendu environ 4 euros) avec une bière craft de 33 cl (à partir de 2,50 euros pièce), c’est comme comparer une pizza Buitoni et celle d’un pizzaïolo de quartier. «La bière craft sera toujours plus chère que la bière industriel­le, coupe Laurent Cicurel. Cela s’explique aussi par les manières de la faire, plus complexes, plus longues. C’est un achat éthique. L’idée, c’est de boire moins mais de boire mieux.»

(1) La Fine Mousse, 4 bis avenue Jean-Aicard, se double d’un restaurant du même nom, juste en face, qui pratique l’accord mets-bières.

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Photo Gauthier Deblonde Un nombre croissant de supermarch­és et bars vendent de la bière craft.

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