Libération

Drôme d’union

Pierre Jouvet Négociateu­r pour le Parti socialiste des accords Nupes, le trentenair­e biberonné à la social-démocratie espère entrer à l’Assemblée.

- Par Charlotte Belaïch Photo Roberto Frankenber­g

C’est une histoire socialiste. Pierre Jouvet naît le 6 octobre 1986, de la rencontre de deux militants du PS lors d’une réunion publique. Madame Jouvet est professeur­e de français, monsieur Jouvet professeur d’histoire. Leur fils, le genre d’élève qui veut être délégué de classe tous les ans. «De la 6e à la terminale. Depuis que je suis petit, j’ai toujours eu ce truc de faire attention aux autres», dit-il aujourd’hui pour faire l’exégèse de son destin politique. Un père premier secrétaire du PS en Ardèche, proche de Mitterrand, puis de Jospin, ça aide aussi. «Le rap, notamment NTM, m’a fait comprendre que j’étais né dans un univers privilégié, et qu’il y avait des gens qui étaient dans la merde et qui y restaient. Cette espèce de révolte m’a beaucoup nourri et amené à la politique», explique-t-il en dévorant un petit déjeuner. «J’ai la dalle», s’excuse-t-il, quelques kilos en moins après une semaine enfermé à négocier avec les insoumis. Manuel Bompard, son homologue côté LFI, est d’ailleurs lui aussi de Drôme-Ardèche, et lui aussi forgé par le rap. Si on doutait du fait qu’il y avait du commun malgré des années à rester chacun dans son coin… Pierre Jouvet est aussi «pleinement dans sa génération» lorsqu’il «bascule» vraiment dans la politique le 22 avril 2002. La veille, il est allé défiler sans ses parents comme un grand. Animé par la colère, le garçon de 15 ans tape à la porte du PS de la Drôme. On pourrait deviner les lignes qui suivent dans la biographie: MJS, études de sciences politiques à Lyon, collaborat­eur d’élu (pendant sept ans, auprès de Didier Guillaume, socialiste rallié à la macronie). La première trace de singularit­é qu’il narre remonte à 2012. François Hollande vient d’être élu et une petite armée de jeunes socialiste­s intègre les cabinets ministérie­ls. Pierre Jouvet, lui, veut construire son parcours en partant du local. «Il vaut mieux un petit chez-soi qu’un grand chez les autres. Ton terrain, ton terrain, ton terrain», répète-t-il en tapant du poing dans la paume de sa main. En 2014, à 27 ans, il est élu président de la communauté de communes de Porte de DrômArdèch­e, puis maire de SaintValli­er, commune de 4 000 habitants, en 2020. Mandats qu’il exerce toujours.

A partir de 2017, la trajectoir­e de Pierre Jouvet retrace à elle seule cinq années de cheminemen­ts socialiste­s. Comme beaucoup dans son camp, il s’interroge : que faire de cet Emmanuel Macron ? Pour commencer, Pierre Jouvet met sa tête sur un tract. Investi aux législativ­es dans la Drôme par le PS, face à une candidate LREM, il décide de s’afficher en photo avec le nouveau président. Un choix qui raconte le grand flou de l’époque et que lui rappellent encore régulièrem­ent ses détracteur­s. Aujourd’hui, il reconnaît «une erreur d’analyse politique» : «Je ne vois pas qu’en faisant ça, je perds ma gauche.» On ne l’y reprendra plus. Il ne cessera, à partir de là, de travailler à remettre le Parti socialiste au coeur de son camp politique. Mais d’abord, Jouvet doit digérer l’échec. Comme des dizaines de ses coreligion­naires, il échoue au premier tour. Laminé, le PS passe de 300 sièges à 30. «Si j’avais gagné tout de suite, j’aurais pu devenir un petit con, se réconforte celui qui est à nouveau candidat dans la même circonscri­ption. J’ai beaucoup réfléchi avec ma femme, on parle tout le temps de politique, c’est ma spin doctor !» On l’avait gardé jusque-là : comme ses parents, Pierre Jouvet a rencontré sa femme au PS, à La Rochelle, rendez-vous des université­s d’été pendant des années. Passée par le cabinet de la ministre Marisol Touraine, elle travaille maintenant dans le privé. Ensemble, ils ont un garçon de 3 ans.

Le socialiste se demande si son parti est mort, enrage de «cette vieille garde du PS, une génération d’enfants gâtés de la politique qui ont tout eu et tout cassé et donnent ensuite des leçons» et finit par rejoindre Olivier Faure pour «tout changer du sol au plafond». Il connaît un peu le député de la Seineet-Marne, qui sera élu premier secrétaire en 2018, pour l’avoir croisé au Mouvement des jeunes socialiste­s. «On a formé une génération spontanée qui se connaissai­t peu, passée par tous les courants du parti, qui avait en commun de vouloir ouvrir une page nouvelle.» Le binôme qu’il forme avec Sébastien Vincini, maire de Cintegabel­le, en Haute-Garonne, représente cette agrégation. «On nous appelle “Tic et Tac”, raconte Vincini. Rien ne devait faire qu’on se retrouve. Je suis un aubryste qui a voté non en 2005, Pierre était dans le courant hollandais, soutien de Valls. C’est le talent de Faure d’avoir fait matcher cette équipe.» Pendant cinq ans, cette bande de quasi inconnus va tenter de reconstrui­re le parti en s’ouvrant au reste de la gauche sans vouloir la dominer. Et pendant cinq ans, elle devra essuyer les critiques de l’ancienne génération. «On aurait dû mourir dix fois, s’amuse Jouvet. On n’avait pas tous les codes, des médias, de la politique… On s’est formés, on a grandi. Je ne suis plus le même qu’il y a quatre ans.»

Quand les discussion­s avec les insoumis ont commencé, le négociateu­r en chef était prêt, «comme on se prépare pour les JO ou pour la Coupe du monde». Depuis qu’il a fait entrer le PS dans la Nupes, il raconte à qui veut l’entendre comme il est heureux. «Ça fait des années qu’on aurait dû faire ça, se laver de ce sentiment de trahison en se remettant clairement à gauche. C’était quoi un socialiste pour les gens ? Quelqu’un qui trahit. Aujourd’hui, je pars en campagne et je peux dire oui, je suis socialiste, et alors ? Il n’y a pas de problème.»

Sa circonscri­ption s’annonce compliquée à gagner. Il a voulu y rester. «Je veux prouver qu’il y a un avenir dans la France périphériq­ue, assure-t-il. Et puis si je perds, ce n’est pas grave, c’est du long terme.» Pierre Jouvet (se) voit loin. L’histoire socialiste qu’il nous raconte lui sert aussi à écrire la sienne. Le porte-parole du PS n’est pas du genre à se laisser engloutir par le groupe. Pendant les quelques jours de discussion­s chez les insoumis, il était toujours devant, en première ligne face aux micros, quand la meute de négociateu­rs socialiste­s entrait et sortait. «Ce sera tout, merci», répétait-il. Et nous, on se disait qu’il avait l’air d’apprécier. «Il a la folie de l’ambition de ceux qui veulent être au plus haut niveau», juge un maire socialiste qui assure «beaucoup l’aimer», comme presque tous les gens interrogés. «Il explose médiatique­ment mais il a fait le sale boulot que personne ne voulait faire. Personne ne se dit que c’est le mec qui joue des coudes pour avoir sa place, il défend ses troupes», affirme Arash Saeidi, candidat Génération·s. Après une heure et demie de discussion­s dans un café en face de la gare de Lyon, le maire de Saint-Vallier a filé prendre son train pour rentrer sur son «terrain». Réalisant qu’on n’avait parlé que de politique, de la gauche et du PS, il s’est retourné après quelques pas : «Sinon, j’aime bien le basket et le foot.» •

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