Libération

Cannes Canapé

- Par Camille Nevers

«Pointu mais digeste.» Charlotte B., non-critique ciné vue à la télé.

La critique est un âne (devrait l’être). A Cannes, l’animal rime avec Festival. Hi-han. Eo brait Skolimowsk­i en polonais. Le regard à l’écran qu’un âne retourne aux spectateur­s est un acte de mise en scène, de suture et de rupture, post-bressonnie­n pré-bonnet d’âne. Cannes, royaume des critiques, ânes épuisés sous la charge et vieux singes à grimaces qui attendent à présent la variole, la prochaine vague, idéalement ce «mouvement» qui manque au ciné. Hier un bon critique est mort d’une longue maladie, Jean-Louis Comolli, rédac chef des Cahiers (mao mao) devenu cinéaste comme tous les critiques qui, s’ils savent écrire, savent filmer – c’est pareil mais c’est rare. Moins rares sont ceux, auteurs surestimés, loués par leurs pairs, moins ânes et trop fans. Ane comme Haenel. Quelques jours avant Cannes, Adèle H. en a eu assez, au cinéma comme dans la vie, des pervers qui squattent toujours. Loin de Cannes et du pouvoir, on attend d’elle de grands petits films et de ne pas rabâcher, comme font les discours à paillettes engagés, la sottise définitive de Wenders en 1987, que la tâche du cinéma était d’«améliorer les images du monde et comme ça, améliorer le monde». Le monde ? Si le Giec voit ses alertes systématiq­uement ignorées, celui des machines s’éteindra et il n’y aura plus moyen de voir les films. Il faudrait écrire à partir de cette idée-là, qu’un jour il ne restera que nos mots ou des bribes, posés sur des films invisibles. Comme tout film à Cannes, qu’on n’a pas vu, dont on lit la critique. A Paris il pleut enfin comme dans le monde d’avant il pleuvait au Festival. Le monde sera sauvé de la sécheresse par les femmes, les enfants et les fous, pour paraphrase­r Eustache qui parlait des soldats, pas des femmes. Sacrilège. Sans sacrilège pas de critique, sacerdoce joyeux d’âne bâté, animal acharné à regarder, à nous prendre à témoin de sa solitude. «Comme si on était dans le même bain de croyance» (Laure A., voix radio de jouvence). Un âne de peu de foi regarde. Tu n’as rien vu. Tu n’as encore rien vu. •

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