Aux filles de l’eau
Elena López Riera La réalisatrice d’«El Agua», présenté à la Quinzaine, entend donner une voix aux femmes et aux légendes orales de son Espagne rurale natale.
Cette année à Cannes, les accréditations que les festivaliers portent autour du cou ont été agrémentées d’un gros badge doré épinglé à hauteur de poitrine que certains se sont empressés d’ôter – et on les en félicite. Mais beaucoup, une écrasante majorité même, les ont gardés, arborant ainsi fièrement ce collier embijouté qui donne l’impression de voir défiler sur la Croisette les lauréats d’un grand concours canin. Toute vêtue de noir, sans collier et encore moins de badge étincelant, la réalisatrice Elena López Riera, elle, serait plutôt quelqu’un dont on dit qu’elle a du chien. Le genre gracile, brillant, ne vous lâchant jamais des yeux, prenant longuement son temps avant de frapper –elle a travaillé sur El Agua (lire page 5), son premier long métrage présenté vendredi à la Quinzaine des réalisateurs, pendant cinq ans et l’a tourné sur sept mois. N’allez pas croire qu’elle soit sauvage pour autant. Lancez-la sur le cinéma, la littérature ou simplement l’Espagne, où elle est née en 1982, et elle vous parlera avec enthousiasme, précision et à un rythme fulgurant pendant des heures.
El Agua suit l’été d’une bande d’adolescents dans un petit village du sud-est de l’Espagne. Le film avance au rythme des fêtes et des longs moments de désoeuvrement dans ce bled où il y a juste un café au milieu de nulle part, qui sert ses trois clients quotidiens et des habitants qui s’observent, s’aiment ou se jalousent. Et au loin, une tempête qui arrive et menace de faire déborder le fleuve attenant, réveillant d’antiques croyances obscures. Comme Alma Viva de Cristèle Alves Meira, le premier long d’Elena López Riera joue la carte de ce mysticisme profondément enraciné dans le quotidien de la péninsule Ibérique, au travers notamment de témoignages face caméra d’habitantes racontant leurs histoires.
«Ce qui m’a donné envie d’aimer le cinéma et de faire des films, au-delà du cinéma, c’est la tradition orale. Ces femmes des régions rurales qui, parce qu’elles ont des vies rythmées par les tâches du quotidien, remplissent leur temps libre par des histoires qu’elles se racontent entre elles. Au quotidien le plus banal se mêlent les récits les plus fantastiques, les croyances les plus invraisemblables.» Des femmes dont Elena voulait aussi, à travers ce film, faire exister les voix. «90 % des femmes qu’on a rencontrées nous disaient : “Je ne veux pas le faire, je ne sais pas parler.” Elles pensaient qu’elles n’avaient tout simplement pas le droit de s’exprimer eu égard aux normes sociales en vigueur. Ça m’a brisé le coeur. Et ça a allumé une petite flamme au coeur du récit.» Correction: une grande flamme. Immense, même.