Pour les réfugiés en France, un provisoire qui dure
Trois mois après le déclenchement de l’invasion russe, la plupart des exilés n’envisagent pas de rentrer avant l’été 2023. Logement, travail... Gérer cette situation est un défi pour les autorités.
L’élection présidentielle, puis l’attente du gouvernement, enfin nommé vendredi, ont quelque peu éclipsé le sujet de la guerre en Ukraine. Pourtant, elle continue de faire rage et le pays de 37 millions d’habitants de se vider : selon les derniers chiffres de l’ONU, 6,5 millions d’Ukrainiens ont quitté le pays, dont la moitié pour la Pologne. Combien sont-ils à avoir choisi la France ? «93 000, selon les remontées consolidées des préfectures, et on devrait atteindre 100 000 dans le courant du mois de juin», assure le préfet Joseph Zimet, qui dirige la cellule interministérielle de crise mise en place pour coordonner l’accueil des «déplacés» − c’est le terme officiel − ukrainiens. Plus de 85 000 bénéficient de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), précise de son côté Didier Leschi, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Troisième source de comptage, l’opérateur téléphonique Orange, qui estime à plus de 100000 le nombre de puces ukrainiennes en service sur le territoire.
«Femmes et enfants». La guerre s’installant dans la durée, les réfugiés ukrainiens vont-ils faire souche en France ? C’est peu probable pour Didier Leschi, pour qui leur situation ne se compare pas à celle des réfugiés syriens ou afghans, «qui ont fui un régime oppresseur ou pour des raisons économiques, et n’ont pas l’intention de retourner dans leur pays d’origine». Ce qui n’est pas le cas des Ukrainiens, même si le temps du retour n’est pas encore venu : «Aujourd’hui, on a des personnes qui sont reparties en Ukraine, mais on a du mal à connaître leur nombre exact car il n’y a aucune formalité de sortie.» Pour autant, le préfet est sceptique à l’idée d’une installation de longue durée, vu la «composition sociologique de ces déplacés et leur volonté très claire de rentrer dans leur pays pour participer à sa reconstruction» : ce sont à «80% des femmes avec des enfants, qui ont laissé en Ukraine les pères, les maris et les garçons de 16 ans et plus, restés se battre», assure Didier Leschi. La preuve, sur les quelque 16 500 Ukrainiens scolarisés, «60 % sont en maternelle et élémentaire».
Joseph Zimet confirme qu’il n’y a pas de réinstallation actuellement, seulement des «allers-retours d’Ukrainiens qui vont chercher un aïeul». Mais, à en croire les remontées des associations ukrainiennes ou des consuls honoraires, les déplacés «s’inscrivent dans un horizon semi-durable : un certain nombre ont l’intention de rester pour l’année scolaire 2022. Ceux-là rentreront au mieux à l’été 2023, si les conditions le permettent». Voudraient-ils rentrer qu’ils ne le pourraient pas, la partie occidentale de l’Ukraine, qui échappe globalement aux combats, étant saturée puisqu’elle accueille la majorité des 8 millions de déplacés internes.
«Langue». Le gros point noir reste le logement, et c’est là-dessus que l’Etat veut accélérer. Seuls 10 % des réfugiés ukrainiens bénéficient aujourd’hui d’un logement autonome, les autres étant hébergés chez l’habitant ou dans des centres d’hébergement. «Aujourd’hui, on rentre dans le logement au compte-gouttes : il y a un gros travail de conviction à faire pour qu’ils acceptent de s’éloigner de Paris ou de Nice pour s’installer dans les zones détendues, comme le Tarn ou les Hautes-Pyrénées, où on dispose de logements, où ils pourront scolariser leurs enfants et travailler», explique Joseph Zimet. En outre, l’élan de solidarité observé au début de la guerre est en train de retomber. A l’approche de la saison estivale, les autorités s’inquiètent de devoir trouver un toit à ceux que les particuliers ne voudront plus garder − par lassitude ou à cause des vacances d’été. Se pose aussi la question du devenir des familles qui sont hébergées à l’hôtel ou dans des centres de vacances… qui vont bientôt se remplir de touristes.
L’emploi est un autre sujet de préoccupation, alors qu’à peine 3100 Ukrainiens sont inscrits à Pôle Emploi, et que seuls 700 ont obtenu un CDI. «Certains Ukrainiens qui sont en France, et occupent des métiers qualifiés, continuent à travailler en Ukraine en distanciel. Pour les autres, travailler dans les métiers en tension en France s’avère compliqué car cela supposerait une reconnaissance des diplômes et un apprentissage rapide de la langue française, relève Didier Leschi. Ils ne sont pas dans la même situation que les médecins algériens qui parlent français», ajoute l’ancien préfet délégué pour l’égalité des chances en Seine-Saint-Denis.