Libération

Tatouage, fais-moi mal

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Il y a d’abord les vibrations du dermograph­e sur l’épiderme. Puis surviennen­t les picotement­s accompagné­s, selon l’emplacemen­t du tatouage, les aiguilles, la durée de l’interventi­on et la délicatess­e du tatoueur, d’un mal plus ou moins supportabl­e. Pour les millions de tatoués – rien qu’en France, on estime qu’un adulte sur cinq a franchi le cap – comme les artistes artisans de cette pratique millénaire et quasi universell­e, la douleur est inhérente à l’expérience. Elle est acceptée, recherchée voire valorisée. Car le tatouage est assimilé à un rite de passage voire un acte de foi dont on admet la part de masochisme. Du coup, le fait que des scientifiq­ues américains (du Georgia Institute of Technology) cherchent à mettre au point une alternativ­e non douloureus­e (un patch composé de micro-aiguilles dissolvabl­es chargées d’encre) interroge l’essence du tatouage.

Il n’est évidemment pas question de remettre en question le bien-fondé d’une telle avancée. Le tatouage a en effet, outre son caractère esthétique, des fins médicales ou vétérinair­es. Il permet, par exemple, de camoufler une cicatrice postopérat­oire après un cancer du sein, d’indiquer la condition médicale de patients ou encore de guider une radiothéra­pie. Or il est encore trop souvent empêché par la douleur, les saignement­s ou le risque d’infection. Le développem­ent de telles techniques est donc un formidable tremplin à sa généralisa­tion thérapeuti­que. En revanche, le tatouage cosmétique n’en perdrait-il pas de sa substance ? Nombreux sont les tatoués à en redemander, précisémen­t parce que ça fait mal: la douleur consentie participe d’un processus de réappropri­ation du corps, qui débute par le choix du motif et de la zone à imprégner, et prend fin avec le soin donné à la cicatrisat­ion. D’ailleurs, la douleur n’a pas été en Occident un frein à sa démocratis­ation, notamment chez les moins de 40 ans.

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