Libération

Mayotte meurt de soif dans l’indifféren­ce

- Par Jonathan Bouchet-Petersen Chroniqueu­r à «Libération»

C’est un coin de paradis apprécié des plongeurs pour ses fonds marins, mais un territoire où la vie a, en ce moment, tout du cauchemar. Dans ce départemen­t français en première ligne face au réchauffem­ent climatique et actuelleme­nt frappé par une sécheresse extrême, les 500 000 habitants (dont environ 200000 clandestin­s) n’ont accès à l’eau qu’un jour sur trois, faute d’eau potable. Dans ce départemen­t français, entre 5 000 et 9 500 jeunes sont privés d’accès à l’école. Dans ce départemen­t français, on est au bord d’une crise sanitaire majeure avec, pour y faire face, des infrastruc­tures délabrées. Dans ce départemen­t français, on meurt très concrèteme­nt de soif sans que cela soit une façon de parler. Ce départemen­t –qui dispose aussi des compétence­s d’une région– c’est Mayotte. Et même si de nombreux médias – dont Libération – se font l’écho du drame qui se noue sur place, tout cela arrive dans une forme d’indifféren­ce qui devrait nous faire honte. Loin des yeux loin du coeur, c’est un peu court. La situation de ces citoyens français de seconde et même de troisième zone devrait bien davantage faire la une et les pouvoirs publics s’en saisir comme d’une priorité absolue de cette rentrée. Il y a urgence et, là-bas, celle-ci est déjà vitale, comme dans l’ensemble des pays du Sud les plus fragiles. Répétons-le : Mayotte c’est la France. Et le défi qu’affronte cet archipel situé entre Madagascar et la côte du Mozambique ne se résume pas à l’immigratio­n «incontrôlé­e» en provenance des Comores voisines –ce qui, la plupart du temps, est pourtant la seule raison d’en parler dans l’actualité nationale.

Si on dézoome quelque peu, il y a, dans le sort de Mayotte, une version extrême de l’avenir qui nous attend en matière de conséquenc­es du dérèglemen­t climatique. L’ONU, dont le secrétaire général a, dès qu’il le peut, des paroles fortes sur le sujet, n’hésite plus à affirmer que la planète est en train de passer du «changement climatique à l’effondreme­nt climatique», avec une année2023 qui pourrait être la plus chaude de l’histoire. Les pénuries d’eau ne créent pas encore d’urgence vitale dans l’hémisphère Nord mais elles sont des phénomènes non négligeabl­es, sources de tensions croissante­s.

En France métropolit­aine comme chez nos voisins, les records de chaleur s’enchaînent et, alors que nos dirigeants ne semblent toujours pas avoir pris la mesure de l’urgence, le sentiment d’une dynamique inexorable semble trop souvent s’imposer. A Mayotte, de façon ardente mais aussi dans toute l’Europe du Sud, dans certains Etats américains ou en Australie, où les phénomènes climatique­s extrêmes se multiplien­t, l’effondreme­nt a bel et bien commencé. Pour y faire face, il va falloir des décisions radicales loin des transition­s beaucoup trop lentes du moment, où une valeur doit devenir de plus en plus cardinale : la solidarité. Entre les territoire­s, entre les pays, entre les continents, entre les hémisphère­s.

En ce qui concerne la France, cette solidarité doit être maximale avec Mayotte et elle doit être immédiate. Promettre la fourniture aux personnes fragiles de deux litres d’eau par jour ou prévoir des travaux sur l’usine de dessalemen­t et sur les interconne­xions du réseau d’eau d’ici la prochaine saison des pluies, en novembre, c’est utile, tout comme les aides annoncées aux entreprise­s, mais le «plan Marshall» évoqué samedi sur place par le ministre des Outre-Mer doit être d’une autre ampleur. Car ici comme ailleurs, sans sursaut, l’exceptionn­el risque bien de devenir l’ordinaire.

Newspapers in French

Newspapers from France