«SHRINKFLATION» DES PRODUITS Moins y en a, plus c’est cher
Cette technique qui consiste à baisser le poids d’un article tout en augmentant son prix de vente permet aux industriels de l’alimentaire de gonfler leurs marges au détriment des consommateurs. Elle est dénoncée en ces temps de forte inflation. Bercy promet d’encadrer plus strictement cette pratique.
Le sujet est monté en puissance presque aussi vite que le prix des spaghettis ou de la plaquette de beurre demi-sel. Jusque-là plutôt confidentielle, la «shrinkflation» (contraction de l’anglais «shrink», rétrécir, et de «inflation»), cette technique –assez malhonnête mais, pour le moment, légale – consistant à faire fondre le poids d’un produit tout en augmentant son prix, est devenue le nouveau marqueur de l’inflation galopante qui s’est installée dans les rayons des supermarchés. Au cours des douze derniers mois, le prix des denrées alimentaires a progressé en moyenne de 13,2 %. De quoi noircir le moral des consommateurs face à ces pratiques qui alourdissent encore un peu plus le ticket de caisse.
Et après des mois d’inaction relative – Olivia Grégoire, la ministre chargée du Commerce, a demandé une enquête, en juin, au Conseil national de la consommation–, le gouvernement est maintenant sous pression pour ramener à la raison les industriels de l’agroalimentaire qui gonflent ainsi leurs marges en douce. Mardi, Bruno Le Maire a ainsi tapé du poing sur la table : «Ces bouteilles de jus d’orange qui contenaient 1 litre et qui contiennent désormais 900 ml sans informer clairement le client, cela s’appelle voler !» s’est insurgé le ministre de l’Economie dans le Figaro. Il a annoncé que «toutes les dispositions réglementaires et législatives nécessaires seront prises pour que les changements de contenu soient affichés en rayon de manière claire et lisible». De leur côté, les députés La France insoumise vont déposer un projet de loi pour tenter de bannir «cette pratique déloyale» qui «accroît les difficultés financières de millions de Français».
Méthode imparable
La shrinkflation a de quoi faire scandale. Elle n’est pas facilement détectable car il faut avoir le réflexe de regarder non pas le prix du produit conditionné, mais celui au litre ou au kilo, certes obligatoire mais le plus souvent indiqué en caractères minuscules sur les étiquettes. Un document interne, que nous avons pu consulter, illustre ces pratiques en vigueur de longue date chez les industriels du secteur. Il détaille les propositions commerciales d’Unilever à ses distributeurs français comme Auchan, Casino, Carrefour, Intermarché ou Système U. Ainsi, un certain nombre de produits fabriqués par le géant anglonéerlandais de l’agroalimentaire sont également passés au crible: glaces, soupes, produits d’hygiène… Il en ressort que les augmentations de prix ramenées au kilogramme ou au litre vont de 2 % à… 96 %.
Chez Findus, dans la gamme de pommes de terre rissolées, la boîte passe ainsi de 600 grammes à 590 grammes alors que le prix grimpe de 68 %. Du côté des glaces, le bac Carte d’or à la vanille de Madagascar fond de 472 grammes à 367 grammes avec un tarif en hausse de 28,61%, alors que le poids a, lui, diminué de 22 %. Pire encore, la version «rhum raisin des Antilles françaises» chute de 506 grammes à 352 grammes, tandis que le prix s’envole de 43,75 % !
La méthode est imparable car le fabricant annonce l’arrêt des anciens conditionnements au moment où il propose les nouveaux. Impossible pour les distributeurs de choisir entre les deux versions : le document stipule qu’un rejet de ces nouveaux packagings et des prix qui les accompagnent entraînerait un refus de livraison par Unilever au récalcitrant… Hasard ou coïncidence, le bénéfice net d’Unilever au premier semestre de cette année a grimpé de 21 % et atteint 3,5 milliards d’euros.
«Technique ancienne»
Le groupe agroalimentaire, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, mettra sans doute en avant une hausse du prix des matières premières pour justifier cette double peine pour le consommateur (lire ci-contre) condamné à payer plus cher pour en avoir moins. Mais il suffit de vérifier les étiquettes au rayon glaces : un bac de crème glacée à la vanille de Madagascar fabriqué sous marque distributeur affiche, lui, un prix en baisse de 17 % pour la même quantité qu’auparavant. Le distributeur a répercuté directement au consommateur une diminution de 11 % du prix des matières agricoles et de 18% du coût de l’emballage.
«C’est une technique classique et ancienne, expose, désabusé, le PDG d’une grande enseigne de la distribution. L’industriel fait ce qu’il veut, je ne peux pas l’empêcher de réduire les portions de certains produits. Le rapport de force est inégal. Un grand groupe de l’agroalimentaire pèse en Bourse à peu près 45 fois plus qu’un distributeur français.» Avant de conclure par une litote : «Ethiquement, l’information donnée au consommateur est perfectible.»
De manière surprenante, Richard Panquiault, président de l’Institut de liaison des entreprises de consommation, qui représente les grandes marques, serait presque du même avis : «Il y a des efforts de clarification à faire», reconnaît-il, alors que ses adhérents sont justement ceux qui s’adonnent à la shrinkflation.
Autre grand groupe, Danone n’a pas souhaité répondre à nos questions et Lactalis dément pour sa part utiliser cette technique, tout en admettant des choix marketing pas si éloignés : «Il peut arriver, pour les nouveaux produits, que nous réduisions le poids de manière à conserver un prix attractif pour nos clients» précise un porte-parole du numéro 1 français des produits laitiers.
La shrinkflation serait-elle un dommage collatéral des relations dégradées entre la grande distribution et ses fournisseurs? Le député Renaissance Frédéric Descrozailles en est convaincu : «Bien sûr que c’est scandaleux, mais il serait temps que les industriels et les distributeurs s’assoient autour d’une table et laissent leurs flingues à l’entrée. Il n’y a qu’en France où les négociations de ce type sont aussi difficiles.»
Clairement lisible
La balle est donc dans le camp de Bruno Le Maire qui a annoncé un renforcement de l’information du consommateur : une loi ou un décret pourrait prochainement imposer aux industriels d’apposer sur l’emballage d’un produit une mention clairement lisible indiquant un changement de poids. Le ministre de l’Economie va néanmoins devoir affronter le puissant lobbying des industriels qui clameront avoir déjà constitué d’importants stocks non modifiables, tout en sortant les violons sur la hausse de leurs coûts de production. De toute évidence, il faudra leur tordre le bras et non plus leur «demander» poliment.