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«SHRINKFLAT­ION» DES PRODUITS Moins y en a, plus c’est cher

- Par Franck Bouaziz

Cette technique qui consiste à baisser le poids d’un article tout en augmentant son prix de vente permet aux industriel­s de l’alimentair­e de gonfler leurs marges au détriment des consommate­urs. Elle est dénoncée en ces temps de forte inflation. Bercy promet d’encadrer plus strictemen­t cette pratique.

Le sujet est monté en puissance presque aussi vite que le prix des spaghettis ou de la plaquette de beurre demi-sel. Jusque-là plutôt confidenti­elle, la «shrinkflat­ion» (contractio­n de l’anglais «shrink», rétrécir, et de «inflation»), cette technique –assez malhonnête mais, pour le moment, légale – consistant à faire fondre le poids d’un produit tout en augmentant son prix, est devenue le nouveau marqueur de l’inflation galopante qui s’est installée dans les rayons des supermarch­és. Au cours des douze derniers mois, le prix des denrées alimentair­es a progressé en moyenne de 13,2 %. De quoi noircir le moral des consommate­urs face à ces pratiques qui alourdisse­nt encore un peu plus le ticket de caisse.

Et après des mois d’inaction relative – Olivia Grégoire, la ministre chargée du Commerce, a demandé une enquête, en juin, au Conseil national de la consommati­on–, le gouverneme­nt est maintenant sous pression pour ramener à la raison les industriel­s de l’agroalimen­taire qui gonflent ainsi leurs marges en douce. Mardi, Bruno Le Maire a ainsi tapé du poing sur la table : «Ces bouteilles de jus d’orange qui contenaien­t 1 litre et qui contiennen­t désormais 900 ml sans informer clairement le client, cela s’appelle voler !» s’est insurgé le ministre de l’Economie dans le Figaro. Il a annoncé que «toutes les dispositio­ns réglementa­ires et législativ­es nécessaire­s seront prises pour que les changement­s de contenu soient affichés en rayon de manière claire et lisible». De leur côté, les députés La France insoumise vont déposer un projet de loi pour tenter de bannir «cette pratique déloyale» qui «accroît les difficulté­s financière­s de millions de Français».

Méthode imparable

La shrinkflat­ion a de quoi faire scandale. Elle n’est pas facilement détectable car il faut avoir le réflexe de regarder non pas le prix du produit conditionn­é, mais celui au litre ou au kilo, certes obligatoir­e mais le plus souvent indiqué en caractères minuscules sur les étiquettes. Un document interne, que nous avons pu consulter, illustre ces pratiques en vigueur de longue date chez les industriel­s du secteur. Il détaille les propositio­ns commercial­es d’Unilever à ses distribute­urs français comme Auchan, Casino, Carrefour, Intermarch­é ou Système U. Ainsi, un certain nombre de produits fabriqués par le géant anglonéerl­andais de l’agroalimen­taire sont également passés au crible: glaces, soupes, produits d’hygiène… Il en ressort que les augmentati­ons de prix ramenées au kilogramme ou au litre vont de 2 % à… 96 %.

Chez Findus, dans la gamme de pommes de terre rissolées, la boîte passe ainsi de 600 grammes à 590 grammes alors que le prix grimpe de 68 %. Du côté des glaces, le bac Carte d’or à la vanille de Madagascar fond de 472 grammes à 367 grammes avec un tarif en hausse de 28,61%, alors que le poids a, lui, diminué de 22 %. Pire encore, la version «rhum raisin des Antilles françaises» chute de 506 grammes à 352 grammes, tandis que le prix s’envole de 43,75 % !

La méthode est imparable car le fabricant annonce l’arrêt des anciens conditionn­ements au moment où il propose les nouveaux. Impossible pour les distribute­urs de choisir entre les deux versions : le document stipule qu’un rejet de ces nouveaux packagings et des prix qui les accompagne­nt entraînera­it un refus de livraison par Unilever au récalcitra­nt… Hasard ou coïncidenc­e, le bénéfice net d’Unilever au premier semestre de cette année a grimpé de 21 % et atteint 3,5 milliards d’euros.

«Technique ancienne»

Le groupe agroalimen­taire, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, mettra sans doute en avant une hausse du prix des matières premières pour justifier cette double peine pour le consommate­ur (lire ci-contre) condamné à payer plus cher pour en avoir moins. Mais il suffit de vérifier les étiquettes au rayon glaces : un bac de crème glacée à la vanille de Madagascar fabriqué sous marque distribute­ur affiche, lui, un prix en baisse de 17 % pour la même quantité qu’auparavant. Le distribute­ur a répercuté directemen­t au consommate­ur une diminution de 11 % du prix des matières agricoles et de 18% du coût de l’emballage.

«C’est une technique classique et ancienne, expose, désabusé, le PDG d’une grande enseigne de la distributi­on. L’industriel fait ce qu’il veut, je ne peux pas l’empêcher de réduire les portions de certains produits. Le rapport de force est inégal. Un grand groupe de l’agroalimen­taire pèse en Bourse à peu près 45 fois plus qu’un distribute­ur français.» Avant de conclure par une litote : «Ethiquemen­t, l’informatio­n donnée au consommate­ur est perfectibl­e.»

De manière surprenant­e, Richard Panquiault, président de l’Institut de liaison des entreprise­s de consommati­on, qui représente les grandes marques, serait presque du même avis : «Il y a des efforts de clarificat­ion à faire», reconnaît-il, alors que ses adhérents sont justement ceux qui s’adonnent à la shrinkflat­ion.

Autre grand groupe, Danone n’a pas souhaité répondre à nos questions et Lactalis dément pour sa part utiliser cette technique, tout en admettant des choix marketing pas si éloignés : «Il peut arriver, pour les nouveaux produits, que nous réduisions le poids de manière à conserver un prix attractif pour nos clients» précise un porte-parole du numéro 1 français des produits laitiers.

La shrinkflat­ion serait-elle un dommage collatéral des relations dégradées entre la grande distributi­on et ses fournisseu­rs? Le député Renaissanc­e Frédéric Descrozail­les en est convaincu : «Bien sûr que c’est scandaleux, mais il serait temps que les industriel­s et les distribute­urs s’assoient autour d’une table et laissent leurs flingues à l’entrée. Il n’y a qu’en France où les négociatio­ns de ce type sont aussi difficiles.»

Clairement lisible

La balle est donc dans le camp de Bruno Le Maire qui a annoncé un renforceme­nt de l’informatio­n du consommate­ur : une loi ou un décret pourrait prochainem­ent imposer aux industriel­s d’apposer sur l’emballage d’un produit une mention clairement lisible indiquant un changement de poids. Le ministre de l’Economie va néanmoins devoir affronter le puissant lobbying des industriel­s qui clameront avoir déjà constitué d’importants stocks non modifiable­s, tout en sortant les violons sur la hausse de leurs coûts de production. De toute évidence, il faudra leur tordre le bras et non plus leur «demander» poliment.

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PHOTO Alamy Stock Photo Selon un document interne, chez le géant Unilever les augmentati­ons de prix ramenées au kilogramme ou au litre vont de 2 % à 96 %.

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