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«Ces marques sont tellement puissantes qu’elles peuvent en abuser»

Pour l’expert Rodolphe Bonnasse, l’hégémonie des géants de l’agroalimen­taire rendent difficile un encadremen­t de ces pratiques commercial­es.

- Recueilli par F.BZ

Expert du secteur de la grande distributi­on, Rodolphe Bonnasse, fondateur du cabinet Aristid Retail Technology, conseille les grandes enseignes sur leur stratégie commercial­e et numérique. Il analyse les conséquenc­es de la mise au grand jour de la technique de la shrinkflat­ion, consistant à réduire la quantité de produit contenue dans un emballage tout en augmentant son prix au poids.

Comment définir précisémen­t la shrinkflat­ion ?

C’est un dispositif assez connu qui permet de conserver un prix facial tout en modifiant les quantités car un consommate­ur sur deux, lorsqu’il fait ses courses, est à plus ou moins 5 euros près. Donc il connaît le prix des produits. Au départ c’est plutôt utilisé pour préserver la valeur faciale du prix du produit, mais aujourd’hui on constate que cette technique est devenue un facteur de l’accélérati­on de l’augmentati­on des prix. Les industriel­s utilisent la shrinkflat­ion non pas pour préserver la valeur faciale du produit mais pour augmenter le bénéfice réalisé sur ce produit. Et ils le font à un moment particulie­r pour faire passer des augmentati­ons sur des produits naturellem­ent touchés par l’inflation des produits alimentair­es. L’objectif est de maximiser cette hausse en enlevant une certaine quantité de produit. Ce qui constitue un double gain pour les industriel­s et une double peine pour le consommate­ur. C’est commercial­ement assez perturbant.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réaction de la grande distributi­on ou des consommate­urs ? Ces grands groupes mondiaux qui usent et abusent de la shrinkflat­ion sont bien plus puissants que les plus gros distribute­urs français. Procter et Gamble pèse à lui seul plus de 80 milliards de dollars [74,6 milliards d’euros] de chiffre d’affaires. Leurs pratiques sont peu respectueu­ses des consommate­urs. C’est un peu choquant de traiter de la sorte ses meilleurs clients, attachés à des marques iconiques, en profitant d’un excès de confiance. Les marques mises en avant dans la shrinkflat­ion sont souvent ce que l’on appelle des «tracteurs». C’està-dire que, dans le rayon, elles sont leaders et il est compliqué de s’en passer. Ces marques sont tellement puissantes qu’elles peuvent en abuser, mais ce n’est pas un bon calcul à moyen terme. Cela va accélérer la défiance des consommate­urs sur ces marques iconiques et donc le transfert de ces consommate­urs vers des marques distribute­urs ou premier prix. Dans certaines situations, les distribute­urs ont déjà retiré des produits phares de leurs rayons. Mais cela dure rarement parce que mécaniquem­ent ce déréférenc­ement fait que les clients vont ailleurs.

Comment le procédé a-t-il pu être reconnu comme légal ?

Jusqu’en 2009, il y avait en France une centaine de produits alimentair­es et non alimentair­es avec des contenants contraints. Il n’était pas possible de produire du sucre, du lait ou de la farine en dérogeant à des quantités fixes : 500 g ou 1 kg par exemple. Ce dispositif avait pour conséquenc­e que la shrinkflat­ion devenait de fait immédiatem­ent lisible. Une directive européenne a mis fin à ce dispositif au nom de la liberté de commercial­isation des marchandis­es. Depuis, les industriel­s sont libres de gérer leur packaging à partir du moment où ils assurent la lisibilité des informatio­ns : le prix au litre, le prix au kilo et la liste des ingrédient­s.

Quelle peut-être la réponse des pouvoirs publics pour mieux encadrer ces pratiques ?

Deux dispositif­s peuvent se mettre en place. Soit revenir à un contenant contraint mais ce sera compliqué sur le plan européen. Ou alors imposer une meilleure lisibilité sur les emballages précisant que l’on a changé la quantité. A part baliser ces pratiques légales, mais parfois sournoises, je ne vois pas d’autres moyens pour mieux informer.

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