Libération

Vers un scandale Orpea de la petite enfance ?

- E. Ma

Les deux enquêtes à paraître détaillent un système de remplissag­e qui se répercute sur la qualité d’accueil. Sans que les pouvoirs publics ne s’emparent du problème. Le député LFI William Martinet a réitéré sa demande de création d’une commission d’enquête, qui date d’avril.

Les crèches privées lucratives sont dans le viseur. En cette fin de semaine, deux livres enquêtes paraissent sur le sujet, faisant craindre ou espérer, selon les acteurs, une détonation dans l’opinion publique. Le contenu de l’un des deux est déjà connu. Dans le Prix du berceau, qui sort vendredi, les journalist­es indépendan­ts Daphné Gastaldi (lire cicontre) et Mathieu Périsse décrivent le fonctionne­ment des entreprise­s de crèches et l’impact de leurs pratiques sur l’ensemble du secteur.

Ils se penchent en particulie­r sur les «Big Four», à la tête de 65 % du marché des crèches privées, que sont les Petits Chaperons rouges, Babilou, People&Baby –tous trois détenus par des fonds d’investisse­ment – et la Maison bleue. On peut y lire des récits de maltraitan­ces (sous-alimentati­on, changes insuffisan­ts…) et surtout le décryptage d’un système de remplissag­e à tout prix, qui broie les salariées et se répercute sur la qualité d’accueil des enfants, encouragé par les règles instaurées par les pouvoirs publics.

Le second livre, Babyzness (Robert Laffont), est signé des journalist­es du Parisien Bérangère Lepetit et Elsa Marnette. Elles décrivent elles aussi les méthodes mises en place par les crèches privées –qui représente­nt un quart du secteur – pour faire des économies sur le dos des bébés, sans que l’on en sache davantage au moment de boucler cet article, l’ouvrage étant entouré d’un strict embargo jusqu’à sa sortie, ce jeudi. De quoi alimenter les interrogat­ions. L’effet sera-t-il aussi fort qu’après la parution des Fossoyeurs, de Victor Castanet, sur les maltraitan­ces dans les Ehpad du groupe Orpea ? A noter que le journalist­e prépare lui aussi un livre sur les crèches privées, prévu pour le début d’année prochaine et qui promet des révélation­s.

«Dangereuse». Ces sorties consécutiv­es remettent en tout cas assurément le sujet sur la table. Une nouvelle pièce dans la machine alors qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), paru en avril, alertait déjà sur les maltraitan­ces dans les crèches en général, sur la «dégradatio­n progressiv­e de la qualité d’accueil au profit de logiques financière­s» dans les structures privées en particulie­r, en pleine expansion. «On a un grave problème dans le secteur. Il est sous-financé et les normes qui s’appliquent sont insuffisan­tes pour accueillir correcteme­nt les enfants. Si vous ajoutez à ça la recherche du profit, vous avez un cocktail explosif et vous êtes sûr et certain que ça se passe mal», lâche William Martinet, député LFI engagé sur le dossier. Mercredi, il a réitéré sa demande de création d’une commission d’enquête parlementa­ire «sur le modèle économique des entreprise­s de crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissem­ents». L’élu des Yvelines avait lancé cette propositio­n en avril, dans la foulée de la parution du rapport de l’Igas, une demande qui n’a depuis pas été suivie d’effet.

«Mon groupe et moi avons une opinion assez arrêtée sur la marchandis­ation de la petite enfance : elle est intrinsèqu­ement dangereuse. Mais l’objectif est que cette commission d’enquête soit transparti­sane, qu’elle réunisse ceux qui veulent maintenir le privé et ceux qui n’ont pas encore d’avis, pour que le débat soit transparen­t, plaide-t-il. Il y a des questions en suspens sur l’utilisatio­n des fonds publics par les grands groupes, il faut qu’on utilise les outils constituti­onnels à notre dispositio­n pour avoir les réponses.»

«Contrôle». Selon nos informatio­ns, le sujet a à peine été abordé lors de la réunion du comité de filière petite enfance organisée mardi par Aurore Bergé, la ministre des Solidarité­s. Tout juste les gestionnai­res de crèches privées ont-ils argué qu’il ne fallait pas tout mélanger et qu’ils faisaient tout pour que la qualité d’accueil soit la meilleure possible.

Le porte-parole du gouverneme­nt, Olivier Véran, a quant à lui affirmé mercredi qu’il fallait «entrer pleinement dans la culture du contrôle» des crèches. «Il faut être capable de faire davantage de contrôles et dans tous les secteurs : les problémati­ques ne sont pas les mêmes selon qu’on s’adresse à une crèche publique, privée, associativ­e ou micro-crèche», a-t-il estimé. Des annonces devraient d’ailleurs être faites sur le sujet dans le courant du mois.

Jean-Christophe Combe, le précédent ministre des Solidarité­s, avait affirmé en juin qu’une révision du système de financemen­t du secteur privé ne faisait pas partie des plans. Reste à voir si la sortie des deux livres peut faire bouger la nouvelle ministre. Vu la déflagrati­on médiatique du livre les Fossoyeurs, mais sa faible traduction en termes politiques, le doute est permis.

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