Libération

Pour les Rolling Stones, un nouvel album et un sacré barnum

Lors d’une conférence de presse roublarde et bien huilée diffusée sur YouTube, le groupe a annoncé la sortie d’un nouvel album le 20 octobre, intitulé «Hackney Diamonds», et présenté «Angry», premier single plutôt réglo.

- Par Lelo Jimmy Batista

L’affaire a été annoncée comme tombée d’une voiture, en plein virage: les Rolling Stones en direct sur YouTube, devant tout le monde, pour annoncer tout un barouf – nouvel album et nouveau single. Nouvelle ère aussi, précisaien­t certaines invitation­s à l’événement. C’est-à-dire que tout est à refaire : les Rolling Stones ont perdu il y a deux ans un de leurs membres fondateurs, un des plus emblématiq­ues et appréciés, le batteur Charlie Watts, sa classe naturelle, son profil d’oiseau de proie, son jeu toujours subtilemen­t «à côté». Ils n’ont aussi, surtout, pas sorti d’album de compositio­ns originales depuis dixhuit ans et le plutôt correct A Bigger Bang en 2005 – juste un disque de reprises blues en 2016 et quelques enregistre­ments live dans l’intervalle.

Sur le teaser balancé mardi, l’humoriste et animateur américain Jimmy Fallon, dépêché à Londres pour assurer le show en mondovisio­n, balayait d’ailleurs pas mal de poussière : celle recouvrant son vinyle d’Exile on Main Street (point culminant paru en 1972), puis celle de son vieux téléphone, sur lequel l’appelaient Mick Jagger, Keith Richards et Ronnie Wood. Avant de débouler vingt-quatre heures plus tard sur la scène du Hackney Empire dans l’Est londonien, pour un live ultrafluid­e et millimétré devant un parterre de journalist­es et d’invités: aucun retard ni temps mort, tout glisse comme le son sur une corde, introduit par un Fallon aussi électrisé que les milliers de pseudonyme­s se bousculant sur la fenêtre de discussion de la vidéo dans un spectacle qui frise la démence.

Semi-improvisé. L’ambiance et la très bonne tenue de la chose réussissen­t parfois presque à faire oublier qu’il ne s’agit jamais que d’une conférence de presse roublarde. Oui, les Stones sortent bien un nouvel album, Hackney Diamonds, disponible le 20 octobre (ceux qui avaient misé sur une sortie foudroyant­e dès ce vendredi, façon Beyoncé, peuvent aller se parachuter ailleurs). Un disque entamé à Noël, bouclé en février, enregistré à Los Angeles, Londres, New York et aux Bahamas. Oui, Angry, le premier single, sera présenté en méga-exclusivit­é en fin d’attraction. Charlie Watts, remplacé après son décès par Steve Jordan (que Watts lui-même avait désigné comme son successeur) sera bien de la partie, le temps d’un titre, Live by the Sword, tout comme le bassiste Bill Wyman, parti du groupe en 1993. Ronnie Wood a lâché, sans qu’on comprenne si c’était volontaire ou pas, le nom de Lady Gaga, invitée sur Sweet Sounds of Heaven, dont il se murmure qu’il pourrait être l’un des prochains singles. Rien sur les rumeurs de présence sur l’album d’Elton John et Paul McCartney. Pas d’annonce de tournée imminente. On aura eu en revanche un semi-remorque de développem­ents évasifs, pour ne pas dire atrocement balourds («on a appelé l’album Hackney Diamonds parce que… bah… on aimait bien le nom, quoi», «c’est un disque basé sur le thème de la colère, mais c’est avant tout un disque éclectique», «on voulait essentiell­ement se faire plaisir»). Et quelques vannes semi-improvisée­s qui ont gentiment tenté de faire sortir le spectacle de ses rails (Fallon imite Mick Jagger, Fallon pousse les trois Stones à chantonner Off the Hook, Fallon cite ses beaux-parents).

Mais c’est quand les membres du groupe baissent momentaném­ent leur garde qu’on se sera finalement le plus amusé. Comme lorsque Keith Richards, fedora et grosses lunettes rondes, air d’un type qui vous attire dans une ruelle pour essayer de vous vendre un ragondin mutant enragé, répond à Fallon qui lui demande de quoi parle Tell Me Straight, un des nouveaux titres dont il assure le chant : «Je n’en ai pas la moindre idée.» Ou lorsque Ronnie Wood, et sa dégaine mi-toucan érotomane mi-bookmaker en sursis, rappelle l’importance à son âge de bien dégourdir quotidienn­ement ses membres. Même Jagger, avec son look de danseur castillan tout en soie ondulée, davantage dans le contrôle, se permet de gondoler un peu, comme lorsqu’il vanne Fallon sur ses «gags stupides».

Sans prétention. Des moments qui ont donné à ce petit barnum des airs d’épisode froufroute­ux du Muppet Show, plutôt amusant mais lapidaire : vingt minutes, pas une seconde de plus, c’est de toute évidence désormais le chrono universel pour les rencontres de ce calibre. Le temps d’un salut rapide au public et rideau, nouveau tunnel d’attente pour le clip, qui se laisse davantage désirer. Et puis enfin l’image, le son. Une balade sur le Sunset Strip à Los Angeles, à bord d’une décapotabl­e (rouge, c’est étonnant) devant laquelle défilent des billboards animés retraçant les multiples époques des Stones – des strass hurlants de la tournée de 1972 aux sweat-shirts gris des débuts, en passant par les images en noir et blanc léché des nineties. Si ce n’était le numéro embarrassa­nt de l’actrice Sydney Sweeney (aperçue dans les séries Euphoria et White Lotus) qui en fait des caisses en bustier cuir et grimaces forcées, à faire passer les clips d’Aerosmith pour des inédits de Jacques Rivette, ça se laisserait volontiers regarder.

Le titre en lui-même ? Honnêtemen­t, et malgré un refrain assez affreux, c’est un Stones réglo. Léger, sans prétention. Les papys savent depuis longtemps (1982 ? 1986 ?) qu’ils ne sont plus là pour refaire Tumbling Dice ou Wild Horses. Ils ont au moins l’air de s’amuser et, au prix où sont les courges, c’est déjà pas mal. •

 ?? Photo Scott Garfitt. Invision. AP ?? De gauche à droite : Ronnie Wood, Mick Jagger et Keith Richards des Rolling Stones à Londres, mercredi.
Photo Scott Garfitt. Invision. AP De gauche à droite : Ronnie Wood, Mick Jagger et Keith Richards des Rolling Stones à Londres, mercredi.

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