Libération

«Le Journal d’Olga et Sasha», sororité dans la guerre

Avec la journalist­e Elisa Mignot, les soeurs ukrainienn­es, établies à Kyiv et Paris, narrent la solitude et la complicité d’une fratrie dans le quotidien du conflit.

- Charline Guerton-Delieuvin

AKyiv, dans l’appartemen­t de Sasha Kurovska, en 2023, il y a un matelas dans le couloir. Et deux sacs. Le premier contient tout le nécessaire en cas d’évacuation ; le second, en cas d’attaque nucléaire. «Que prendre en cas de bombardeme­nts ? C’est la question que se sont posée des millions d’Ukrainiens. Ceux qui sont partis. Et ceux qui sont restés, comme moi» et qui s’endorment depuis le 24 février 2022 au son des missiles et des sirènes. Olga, sa soeur, vit à Paris : «Impossible de me débarrasse­r de cette pensée et de la culpabilit­é d’être en sécurité.» Certains jours, ses proches ne lui donnent pas de nouvelles – un simple «tout va bien, tout va bien» de sa mère – alors, elle pioche sur les réseaux sociaux et dans la presse des informatio­ns, relaye des pétitions, des cagnottes. «Je me sens tellement impuissant­e.» La solution : tenir un journal de guerre à deux voix publié hebdomadai­rement dans M, le magazine du Monde. «Pour se raconter leur quotidien l’une à l’autre», écrit dans la préface Elisa Mignot, journalist­e à l’initiative de ce projet. La première rencontre entre elle et Olga a eu lieu en avril 2014, lors de la révolution citoyenne à Maïdan. L’une interviewe ; l’autre traduit.

«Je ne souhaite que la mort à ce gnome qui a plongé son propre pays dans la misère, qui a tué des milliers d’Ukrainiens, de Tchétchène­s, de Syriens, de Géorgiens et même des russes ! Et tout ça pour quoi ? Pour continuer à tenir le monde entier par les couilles avec son gaz mélangé au sang de toutes ses victimes.» Par le chant, Olga s’arrache à ce quotidien. Choriste, elle refuse de donner de la visibilité à la culture russe – c’est un choix politique. Les majuscules à «poutine», «russie» tombent – politique, également. Sasha transforme sa cachette – un parking souterrain – en cinémathèq­ue. Son voisin joue du violon. Et à Paris, durant une visite chez sa soeur, elle trouve dans «les visages et les corps déformés, les couleurs vives et brusques des paysages» d’Edvard Munch, des «sensations si fortes et tourmentée­s». Il y a entre ces toiles et ce récit une complicité, un tutoiement avec la solitude, l’angoisse et la mort.

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