Libération

«Cow-boy noir», Nat Love dompte sa légende

Traduite en français pour la première fois, l’autobiogra­phie de l’esclave affranchi raconte son parcours tumultueux et fait ressortir la place des noirs dans l’histoire du Far-West.

- Frédérique Roussel

Le jour du concours, les meilleures gâchettes de l’Ouest étaient là. Chaque cavalier devait attraper un mustang au lasso, le faire tomber, lui passer la bride, le seller et le monter. Le plus rapide était proclamé vainqueur. Ce 4 juillet 1876, Nat Love et ses acolytes du ranch viennent de livrer 3 000 bovins à Deadwood, dans le sud du Dakota, sans avoir croisé un autochtone. Ce ne fut pas le cas du général Custer défait par Sitting Bull quelques jours avant, lors de la Bataille de Little Bighorn, non loin d’où passa le troupeau.

«Cabane en rondins». Les cowboys déchargés de leur livraison de têtes font un tour en ville et participen­t au rodéo. Nat Love met seulement neuf minutes à maîtriser un mustang et obtient le titre de champion. «La foule des spectateur­s me surnomma aussitôt Deadwood Dick et me sacra meilleur lasso du pays du bétail.» La «grande prairie» cultive les surnoms, de Billy the Kid à Buffalo Bill, et «Deadwood Dick» fait référence au personnage des aventures signées Edward Lytton Wheeler, très populaires à la fin du XIXe siècle. En 1907, son record tenait toujours, précise fièrement le cow-boy afro-américain (1854-1921), dont l’autobiogra­phie vient d’être traduite chez Anacharsis. Il avait mis ses colts au rancart depuis 1890 et avait décidé de conter par le menu «cinquante ans d’une existence exceptionn­ellement aventureus­e» sur l’insistance de ses amis. A l’image de ce moment de gloire (on ne parle même pas de sa victoire au tir qui suivit), les souvenirs du cow-boy noir, fameux personnage du Far-West (utilisé dans la bande dessinée et au cinéma), sont héroïques de bout en bout, portés par une énergie et une confiance en soi communicat­ives. Dans sa préface, Thierry Beauchamps pointe les incohérenc­es de «ses affirmatio­ns extraordin­aires», notamment ce fameux surnom de Deadwood Dick, le personnage ayant été créé un an après le concours, en 1877.

A son passé d’esclave, Nat Love ne consacre que cinq chapitres, qui préludent à son départ vers le Kansas à quinze ans. Il a vu le jour, après sa soeur Sally et son frère Jordan, en juin 1854 «dans une vieille cabane en rondins de la plantation de mon maître, au coeur du comté de Davidson, Tennessee». Le planteur esclavagis­te s’appelait Robert Love, plutôt bon dit-il, à la différence de «démons déguisés en hommes, qui prenaient plaisir à torturer des noirs». Nat Love a dix ans quand la guerre de Sécession éclate, son maître a emmené son père avec les troupes du général Lee. Dans le premier d’un des nombreux passages émaillés de batailles souvent intrépides et captivante­s (bientôt contre les autochtone­s ou les voleurs de bétail), la bande de jeunes garçons, avides aussi de faire la guerre mais tous Yankee déclarés, décide de prendre pour ennemi les nids de guêpes ou de bourdons des environs.

Rempli de gloriole. Le conflit remporté par l’Union, la famille désormais affranchie loue dix hectares de terre à son ancien maître pour cultiver du maïs et du tabac, mais tombe vite dans le dénuement après la mort du père. Heureuseme­nt, Nat Love ne manque pas de vitalité, trouve du travail, commence à s’entraîner à «rompre» des poulains, avant de prendre la clé des champs dans l’Ouest pour devenir cow-boy une fois sa mère à l’abri des privations. Tout lui réussit. L’autobiogra­phie de Nat Love est non seulement le «plus long témoignage d’un ancien esclave devenu cow-boy, mais c’est aussi un récit troublant par son point de vue, celui d’un noir qui, pour échapper à son histoire et à sa condition, décide de s’inventer une persona idéale, celle d’un vaquero affranchi de toutes les règles», écrit Thierry Beauchamp.

Un grand nombre d’esclaves et d’anciens esclaves, même s’ils sont oubliés des westerns, servirent ainsi dans les ranchs. Un cinquième des cow-boys du Texas étaient afro-américains, largement effacés de la légende du Far-West. C’est l’intérêt premier de ce récit de les incarner, même s’il paraît rempli de gloriole et d’affabulati­ons. De même la reconversi­on de Nat Love – dont la fin de parcours épouse la conquête du rail – en employé des wagons-lits Pullman après son mariage et son installati­on à Denver. Il devint bien sûr «bientôt l’un des porteurs de wagons-lits les plus populaires du Colorado».

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Photo Alamy Le cow-boy Nat Love, surnommé «Deadwood Dick».

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