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«Les experts alertent de longue date sur la fragilité des infrastruc­tures»

Pour la chercheuse libyenne Malak Altaeb, le lourd bilan des inondation­s a été aggravé par l’incurie des dirigeants, qui n’ont pas su préparer le pays aux catastroph­es naturelles.

- Recueilli par Sarah Laurent

Plus de 2 300 personnes sont mortes à Derna, dans l’est du pays, et des milliers sont encore portés disparues. Ce lourd bilan humain s’explique par la violence de la tempête Daniel, ayant déjà dévasté la Grèce la semaine dernière, mais témoigne aussi du manque de ressources allouées à l’entretien des infrastruc­tures libyennes et la prévention des catastroph­es naturelles, explique Malak Altaeb, chercheuse et consultant­e libyenne spécialisé­e dans les politiques environnem­entales de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Pourquoi la Libye a-t-elle été aussi durement touchée par la tempête Daniel ?

La Libye n’est pas du tout prête à résister aux phénomènes météo extrêmes et aux catastroph­es naturelles. Elle n’a ni infrastruc­tures ni protocoles pour réduire les risques liés aux catastroph­es climatique­s. Les autorités savaient que la tempête, qui avait fortement touché la Grèce la semaine dernière, se dirigeait vers ses côtes, mais elles n’ont même pas évacué les personnes les plus vulnérable­s ou celles se trouvant dans les endroits les plus dangereux. Il n’y a même pas eu d’appels à se protéger et à faire attention. Sur les réseaux sociaux, il y avait des vidéos de personnes filmant la tempête comme si c’était juste une averse et non pas un phénomène dangereux.

Pourquoi le pays est-il aussi peu préparé ?

Depuis plus de dix ans, le pays se concentre sur les batailles internes pour le pouvoir, la lutte contre les milices, l’immigratio­n illégale et l’organisati­on d’élections et a complèteme­nt délaissé la politique environnem­entale. Les gouverneme­nts ne font que parler de qui contrôle quoi, sans jamais évoquer la politique de la ville. Ils se concentren­t uniquement sur la façon de garder le pouvoir sans se soucier du bien-être des habitants. Sans oublier que le niveau de corruption dans les institutio­ns libyennes est élevé. Les ressources qui pourraient être utilisées pour mettre en place des moyens pour faire face aux catastroph­es naturelles sont souvent détournées. Cela fait très longtemps que les experts alertent sur la vulnérabil­ité des infrastruc­tures, mais rien n’a été fait.

Quelles mesures les autorités auraient-elles pu prendre pour réduire les risques ?

Si on prend l’exemple de Derna, la ville la plus dévastée, les inondation­s ont été grandement aggravées par la défaillanc­e de deux barrages en amont de l’agglomérat­ion : ils n’ont pas supporté le volume d’eau et ont lâché. Ce qui pose la question de l’entretien des infrastruc­tures. Actuelleme­nt, il n’y a pas de ressources dédiées à l’entretien des barrages. J’espère que les autorités vont maintenant vérifier leur état.

Pensez-vous que le pays sera capable de se reconstrui­re ?

«[Les différents gouverneme­nts] se concentren­t sur la façon de garder le pouvoir sans se soucier du bien-être des habitants. Le niveau de corruption est élevé.»

Je pense qu’il est trop tôt pour le dire. Je ne sais pas si je suis confiante dans la capacité qu’a la Libye à se reconstrui­re. Au vu de la situation politique et économique cela semble difficile, presque impossible. Encore une fois, reconstrui­re pose la question de l’allocation des ressources financière­s et politiques, ainsi que du soutien régional et internatio­nal. Les catastroph­es naturelles ne s’arrêtent pas aux frontières, et les dégâts que la tempête Daniel a causés en Grèce et en Libye le démontrent.

La différence est la façon dont le gouverneme­nt libyen a réagi et ce qu’il fait pour prévenir les catastroph­es. L’aide de la communauté internatio­nale sera nécessaire, non seulement sur le temps court pour retrouver les victimes, mais aussi sur le long terme pour déterminer quelles mesures peuvent être prises afin de limiter ce genre de catastroph­e à l’avenir. Les autorités doivent se rendre compte que la politique environnem­entale doit être au moins aussi importante que la politique sécuritair­e.

Les autres pays d’Afrique du Nord manquent-ils également de préparatio­n face aux catastroph­es climatique­s ?

L’Afrique du Nord est une région très diverse en termes de régimes politiques ou d’économie, mais en général elle ne dédie pas assez de ressources à anticiper les effets destructeu­rs du réchauffem­ent climatique et aux catastroph­es naturelles. Pour prendre un autre exemple, on a vu après le tremblemen­t de terre au Maroc que les secours ont tardé à arriver dans l’Atlas parce qu’il manquait les infrastruc­tures nécessaire­s. Le principal problème est que les gouverneme­nts n’établissen­t pas les bonnes priorités.

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Photo AFP Derna comptait quelque 100 000 habitants avant la catastroph­e.
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