A Rouen, l’uniforme sous toutes les coutures
Le Musée national de l’éducation retrace les liens entre vêtements et école du XIXe siècle à nos jours et détricote un lot de préjugés.
ELe fameux «retour à l’uniforme» en prend un coup, car en réalité, ce dernier n’a existé que dans certains établissements scolaires au XIXe siècle, et encore.
n instituant l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans les écoles, collèges et lycées publics, le gouvernement s’est lancé dans une vaste entreprise de réhabilitation de l’uniforme scolaire. Ainsi, la fraîchement élue secrétaire d’Etat chargée de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, se dit en faveur d’une «expérimentation» d’une «tenue scolaire» dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Interrogé par Hugo Décrypte, Emmanuel Macron s’est prononcé pour une «tenue unique». Cette agitation récurrente n’a pas laissé indifférent le Musée national de l’éducation (Munaé), situé à Rouen, où l’exposition «S’habiller pour l’école» (jusqu’au 31 mars) interroge le rapport entre le vêtement et l’école des années 1880 à nos jours.
Rituels. A l’instar du débat actuel portant sur l’abaya, ou celui sur le port du crop-top, les problématiques d’habillement à l’école font l’objet de débats passionnés: «Nous avons tous été élèves et ce faisant, les enjeux liés au patrimoine scolaire sont surinvestis sur le plan émotionnel et social», explique Nicolas Coutant, directeur du Munaé et cocommissaire de l’exposition. Les vitrines de l’exposition affichent d’anciennes blouses scolaires en vichy bleu, une pèlerine de laine bleu marine portée par des élèves au début du XXe siècle ou encore un petit pantalon de velours côtelé marron avec une chemise à carreaux bleu ciel ayant servi de tenue de rentrée d’un jeune élève au début des années 70. Tous ces éléments témoignent des évolutions et de la complexité des liens entre vêtements et école. Surtout, ils démystifient les stéréotypes récurrents autour de l’habillement des élèves. Le fameux «retour à l’uniforme» en prend un coup, car en réalité, ce dernier n’a existé que dans certains établissements scolaires au XIXe siècle, et encore : «Les uniformes étaient portés dans les établissements scolaires privés et les lycées qui l’imposaient pour les internes, soit une infime partie de la population des élèves», détaille Nicolas Coutant. Cette tenue, dont la forme était plus ou moins militaire, variait selon les contextes politiques de l’époque. L’uniforme jouait alors principalement un rôle de distinction et de représentation. Aujourd’hui, il subsiste dans quelques territoires d’outre-mer. A chaque extrémité du spectre social, il est également porté par les élèves et étudiantes de la maison d’éducation de Saint-Denis, établissement d’excellence ouvert uniquement aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles de décorés de la Légion d’honneur et par les élèves de l’internat de Sourdun, ouvert aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés. L’exposition nuance aussi l’image de l’uniforme comme outil au service de la réduction des inégalités, exemple britannique à l’appui: obligatoire depuis les années 70 dans les établissements de primaire et secondaire du Royaume-Uni, il n’a pas spécialement participé à changer le regard sur les plus modestes : «Tout est acheté dans les magasins avec des différences entre les familles pouvant se fournir dans des bons supermarchés et les autres. Les élèves qui auront des uniformes neufs chaque année et ceux qui choisissent ou se voient imposer pour des raisons économiques de porter des tenues de seconde main», analyse Aude Le Guennec, anthropologue du design à la Glasgow School of Art en Ecosse et cocommissaire de l’exposition. Si l’uniforme constitue une partie infime de la galaxie vestimentaire d’école, le rapport à la tenue rythme les relations entre l’institution scolaire et les élèves: «Les vêtements permettent à l’enfant ou à l’adolescent d’être investi dans son rôle d’élève», explique Aude Le Guennec. Les rituels vestimentaires, établis par la famille, l’école ou même les industriels, sont nombreux : passage obligatoire par le vestiaire dans l’école de la IIIe République avant d’intégrer la salle de classe afin d’enfiler sa blouse ou encore traditionnel achat de la tenue de la rentrée… Certains de ces rituels, qui investissent concrètement l’enfant de son nouveau rôle, ont cessé d’exister, mais s’habiller pour l’école est un geste toujours vêtu d’un sens particulier: «Le vêtement fabrique les identités individuelles et permet aussi de s’intégrer dans un groupe en s’identifiant aux autres par son look», détaille Aude Le Guennec. Une photo des artistes Ari Versluis et Ellie Uyttenbroek, renommé Exactitudes, montre ainsi des portraits d’adolescents dans un collège d’Evry en 2009. Tous arborent la même posture, les mains dans les poches, et portent l’iconique veste Adidas à trois bandes, star des récréations dans les années 2000.
Sens du goût. Dans cette relation étroite entre l’école et le vêtement, l’institution scolaire s’est révélée peu directive. Selon Nicolas Coutant, aux XIX et XXes siècles, les règles portaient principalement sur l’aspect hygiénique : le port de la blouse était obligatoire jusqu’à la fin du XXe siècle principalement pour des raisons de propreté. Aujourd’hui encore, les règlements des établissements restent délibérément vagues, préconisant par exemple le port de «tenues décentes» pour englober un maximum de situations et laisser place à la négociation... ce qui n’efface pas toujours le risque de conflit.
L’exposition rappelle que le sujet concerne aussi les enseignants. En 1923, le code soleil, un ancien guide professionnel destiné aux instituteurs, soulignait l’importance pour les institutrices d’adopter une tenue sobre et élégante afin de transmettre le sens du goût à leurs jeunes élèves. Aujourd’hui, il n’existe plus de règles spécifiques pour les enseignants, à l’exception de l’interdiction du port de signes religieux. Une énigme demeure : dans un questionnaire dédié à l’habillement des enseignants soumis à quelques classes d’élèves dans le cadre de l’exposition, un élève écrit : «Pourquoi les professeurs d’espagnol portent-ils tous des vêtements de la marque Desigual ?» Personne n’a encore légiféré làdessus.