Libération

«Un métier sérieux» : le sens des devoirs

Thomas Lilti signe un film choral sur le corps enseignant d’un collège, qui ne décolle vraiment que grâce aux élèves.

- Camille Nevers

Le cinéma n’est pas un fonctionna­riat, mais peut se vivre comme magistère. Avec la salle de tribunal et la salle de commissari­at, il a une prédilecti­on pour la salle de classe. L’école – ses personnage­s de maîtres dévoués, de professeur­s vannés– est, avec la police, la justice et l’hôpital, l’institutio­n la plus décortiqué­e du cinéma hexagonal. Hollywood y adjoint l’armée, la politique, et la religion (moins). Rien de sorcier, ce sont les lieux de société fondamenta­ux, règles et normes, lois, droits : la démocratie en actes. Le monde modèle réduit d’une salle de profs, d’une estrade ou d’un réfectoire. C’est aussi le sujet de fiction où l’adage selon lequel les bons sentiments ne font pas les meilleurs films se vérifie le mieux.

Un métier sérieux est une façon pour Thomas Lilti, après trois films et une série (Hippocrate) traitant de son premier métier, médecin, de s’ouvrir à un univers nouveau – mais pas trop. L’idée générale reste le portrait de groupe, plus encore, le portrait de «corps» (de métier). Une rentrée des classes, un groupe de professeur­s chevronnés et une nouvelle recrue en déjà-vu: Vincent Lacoste. Ça commence sur le ton de la comédie fraternell­e, mais ça ne dure pas : Un métier sérieux est un film sérieux. Il conte avec une sorte de talent unanimiste une année scolaire en forme de chronique aléatoire. Chaque prof est un spécimen dont on prélève les échantillo­ns de vie, les joies et les peines dans –et hors– les murs du collège. L’agenda du récit est traité à la façon du Reader’s Digest. Ça, on prend, ça on laisse. Le vu, c’est le vécu. Le récit c’est le (bien) documenté, et le style, le «rendu». Voilà la légitimité sincère de ce long métrage. La vérité et la réalité dont est capable le cinéma avec ses moyens propres, non pédagogues, sans manuel, c’est autre chose. Adèle Exarchopou­los s’exclame, vénère, à un moment: «C’est une lutte des classement­s entre établissem­ents !» Pas de lutte de classes ici, mais des classement­s. C’est ce qui manque au film: des personnage­s d’élèves en face, évalués et pas égaux. Une altérité de «classe» qui sorte un peu du petit groupe des profs. Dès qu’un élève se pointe et entre dans le champ, Un métier sérieux monte en force. La partie vraiment réussie met donc en scène Enzo, personnage d’élève difficile dont l’avenir au collège est bientôt compromis. Le jeune acteur, Bilel Souidi, est phénoménal (ses parents aussi) et Lilti cesse enfin de survoler ses menus «moments de vie» pour suivre une ligne, une figure, un tempéramen­t, un vrai drame. Avec Enzo, et, dans une moindre mesure, la gifle de Sandrine, la prof de physique (Louise Bourgoin), soudain on quitte le tâtonnemen­t du rendu vériste et la chronique qui ne finit pas ses blagues (on ne saura jamais ce qu’a dit Francis Cabrel à Pierre en panne) pour toucher à l’émotion plus drue de tension accumulée. L’impression finale – Lilti aurait-il pris ce pli sans fer à repasser? – est qu’Un métier sérieux est conçu tel le pilote d’une future série, avec son arène, son arc principal et ses intrigues secondaire­s, son aréopage de persos à décliner en saisons télé et années scolaires successive­s.

Un métier sérieux de Thomas Lilti avec Vincent Lacoste, Adèle Exarchopou­los, François Cluzet… 1 h 41.

 ?? Photo Les Films du Parc. Le Pacte ?? Adèle Exarchopou­los
et Vincent Lacoste.
Photo Les Films du Parc. Le Pacte Adèle Exarchopou­los et Vincent Lacoste.

Newspapers in French

Newspapers from France