Libération

«Le Livre des solutions», ses délires sont des ordres

Michel Gondry s’empare avec autodérisi­on d’un épisode douloureux de sa carrière mais pèche par complaisan­ce envers son alter ego antipathiq­ue.

- Sandra Onana

«Solutionne­r» est un bien vilain mot qui sent le séminaire de new public management à plein nez ou le manuel de développem­ent personnel. Le livre des solutions qui donne ironiqueme­nt son titre au film de Michel Gondry est pourtant aux antipodes de ce genre de littératur­e, puisd’euros qu’il s’agit d’une divagation rédigée jour après jour par un protagonis­te sujet aux états maniaques. Soit un cinéaste exilé chez une vieille tante dans les Cévennes, où il s’efforce de finir un film entouré d’une équipe de confiance en même temps qu’il cherche à canaliser ses élans de créativité électrique sous la forme d’un guide, où chaque problème trouve (abstraitem­ent) sa solution.

Fugue. Le héros nommé Marc est un double à peine déguisé de Michel Gondry, qui s’inspire ici d’un épisode douloureux de sa carrière : la post-production de l’Ecume des jours, ratage superprodu­it à 20 millions vécu par son auteur comme une mise en cage de sa créativité. Sur le plan du référent biographiq­ue, l’histoire a toutes les raisons d’intéresser. Elle éclaire le désenchant­ement bien connu des artistes à l’épreuve du formatage, le principe de réalité avec lequel il leur faut ordonner leur folie, quand elle s’écrase sur le mur du faisable et du raisonnabl­e. Larguer les producteur­s en cravate et bricoler une utopie dans la forêt, trouver des raisons de ne jamais finir le film (que Marc se refuse même à regarder) : ainsi s’éprouve le fantasme du réalisateu­r en fugue, affamé d’idées et en plein sevrage de médocs pour ses troubles bipolaires.

Sur le plan de la fiction, il ne va pas de soi de s’attendrir des gesticulat­ions de Pierre Niney dans le rôle du maestro à fleur de peau, hurlant sur ses collaborat­rices – plutôt des femmes, toutes patientes et maternelle­s – qui exaucent la moindre de ses lubies nocturnes et s’adressent à lui avec la douceur que l’on réserve aux grands enfants écorchés. Françoise Lebrun, qui joue la tante aimante, est si grande et touchante en faisant si peu que n’importe qui semble minuscule à côté.

Incommunic­abilité.

Que le film peine à nous convaincre de l’intérêt des illuminati­ons délirantes de Marc pourrait témoigner de son vrai sujet : le drame de l’incommunic­abilité pour un créateur, mis en échec par l’étanchéité des frontières entre sa psyché malade et celle des autres. Sauf que le mythe du génie incompris se trouve régulièrem­ent confirmé par le film, voire porté au triomphe dans une scène clé – sous la dictée des émotions qu’il pantomime avec son corps, Marc donne à déchiffrer un somptueux morceau à un orchestre qui l’interprète en direct, prouvant aux sceptiques que l’harmonie se loge dans son chaos personnel. Point d’autodérisi­on ou d’autocritiq­ue sans férocité, or Gondry en manifeste bien peu envers cet alter ego, semblant finalement chanter ses propres louanges.

Le livre des solutions de Michel Gondry. Avec Pierre Niney, Blanche Gardin, Frankie Wallach… 1 h 42.

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Photo The Jokers Marc, interprété par Pierre Niney, est un double à peine déguisé de Michel Gondry.

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