Libération

Passionnée

- Par Dov Alfon

Tout au long de ses quatre décennies de carrière littéraire, embrassée sur le tard, Maryse Condé aura exploré une vision globale de la diaspora noire, refusant les étiquettes trop faciles et plaçant une identité caribéenne résolument multiforme au centre de sa création. Lue et adulée dans le monde entier, la militante indépendan­tiste et grande romancière de la Guadeloupe a mené une vie nomade semée d’embûches, de déceptions, de coups de tête et de victoires sur une fatalité familiale et circonstan­cielle qu’elle estimait avec raison trop méprisante, comme on refuserait une lettre recommandé­e du destin. L’épisode clé de son autobiogra­phie tourne autour d’un cadeau d’anniversai­re pour ses 12 ans, les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë. «Un jour, moi aussi j’écrirai des livres», dit-elle après une nuit de lecture passionnée, essuyant immédiatem­ent la réponse outrée : «Mais tu es folle ! Les gens comme nous n’écrivent pas !» Qu’à cela ne tienne : lauréate du prix de l’Académie française, du prix Carbet de la Caraïbe, du prix Marguerite Yourcenar, du Grand Prix littéraire de la femme et du prix Tropiques, Maryse Condé reçoit en 2018 le prix Nobel alternatif de littératur­e. «Je suis extrêmemen­t heureuse que l’on reconnaiss­e ma voix, celle de la Guadeloupe et des Guadeloupé­ens même si je suis surprise que ce soit la Suède qui estime que ce que je dis est important, avait-elle expliqué dans un entretien à Libération, il faut dire qu’ici, en France, je n’ai jamais vraiment eu le sentiment que l’on m’écoutait.» C’est le retentisse­ment de sa saga Ségou (1984-1985), vif succès critique et commercial, qui va amorcer ce dialogue sur l’identité, retraçant à travers l’histoire fictive de la famille Traoré la violence de l’islamisati­on, de la traite négrière et de la colonisati­on, avec la volonté de proclamer «la fierté d’être noire». De par le monde, son message a été reçu et vibre encore.

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