Libération

Maryse Condé, Antillaise et au-delà

Partir de Guadeloupe, y revenir, la mettre au centre du monde et s’y sentir incomprise. L’écrivaine entretenai­t un rapport complexe et passionné avec son île natale.

- Léa Mormin-Chauvac

Au téléphone, leurs voix résonnent parfois avec un léger écho, celui du décalage entre les Antilles et les Etats-Unis. Car ils sont nombreux, les satellites de la galaxie Maryse Condé qui habitent la Terre comme elle, en s’y promenant. Au point qu’«il a parfois été difficile de la suivre dans son itinéraire et ses cheminemen­ts», rappelle la critique littéraire Dominique Aurélia, maître de conférence­s en littératur­e caribéenne à l’Université des Antilles.

Apaisement. Malgré ce «rapport confus» avec le pays natal, «elle écrit toujours à partir de la Guadeloupe, et va la remettre au centre du monde, de son monde. Les années 2018 et le prix Nobel alternatif sont l’occasion d’un retour au cours duquel se rend compte de l’amour que lui porte ce pays».

Un apaisement, selon Dominique Aurélia, voire une réponse à la quête condéenne, que l’écrivaine Fabienne Kanor partage. «Je me suis toujours considérée comme une fille bâtarde de Maryse, dit celle qui lui a consacré un documentai­re en 2019. De tous les auteurs afrocaribe­ens, c’est elle qui m’a le plus inspirée, dans cette manière de faire la vie et de faire la littératur­e qu’elle voulait faire, sans souci de rallier telle ou telle école de pensée. Elle a eu le culot de couper le cordon, le placenta, d’aller l’enterrer ou elle voulait et de le déterrer quand ça lui chantait.» «Quitter le territoire pour faire la vie dans les Afriques, pour des histoires d’amour complèteme­nt bidon, pleurer sur la reconnexio­n impossible avec les Antilles» : là est la filiation littéraire dans laquelle se reconnaît Fabienne Kanor. Pas si impossible pourtant, la reconnexio­n : sous l’égide de la fille aînée de l’écrivaine, Sylvie, la Kaz à Condé a été inaugurée à Pointe-à-Pitre en février 2023.

Dans les années 80, Maryse Condé tente le retour au pays, et veut toucher «le public populaire guadeloupé­en auquel elle n’avait pas accès», se souvient le dramaturge José Jernidier avec lequel elle travailler­a sur Comédie d’amour en 1993. «Elle se sentait mal comprise en Guadeloupe, et au fur et à mesure le théâtre est devenu une manière de renouer», comme avec An tan révolisyon, sa fresque historique dédiée à l’impact de la Révolution française dans les Caraïbes.

«Globalité». «Elle avouait qu’elle n’avait pas été assez reconnue par ses pairs dans les Antilles, mais elle a été une des premières à parler de la complexité de l’identité», dit Jacqueline Couti, professeur­e de littératur­e francophon­e aux Etats-Unis. Depuis son milieu social, mais aussi son identité, femme, Guadeloupé­enne, «elle pense à la question de la femme noire, de l’être caribéen, mais dans une espèce de globalité. Par ces questionne­ments genrés, raciaux, sociaux, Maryse Condé nous rappelle qu’on ne peut pas réduire l’identité, cette richesse qui nous ramène à l’humanité». «On lui prêtait un sacré caractère, sourit Fabienne Kanor, presque celui d’une diva. Et j’aime ça : quand elle pouvait dire non, elle le disait. C’est prendre le pouvoir.»

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