Un mauvais alignement des gamètes
Déjà de plus d’un an, le délai moyen d’attente pour une prise en charge pourrait s’étendre sur plusieurs années après le changement de stock.
A partir du 31 mars 2025, toutes les gamètes utilisées dans des parcours de PMA proviendront de donneurs ayant consenti à la levée de leur anonymat. D’ici là, il s’agit d’écouler l’ancien stock de spermatozoïdes. Parfois au détriment des receveuses, mises devant le fait accompli.
«On s’est lancées naïvement et on se prend la réalité en face. On se rend compte du décalage qu’il y a entre le droit et son effectivité.» Comme d’autres couples de femmes ou femmes seules, Marion et Margaux pensaient, en s’inscrivant à un parcours de procréation médicalement assistée (PMA) fin 2022, avoir accès à des paillettes de sperme «non anonyme». Autrement dit, à des gamètes de donneurs ayant consenti à la divulgation de leur identité aux enfants issus de leur don, si ceux-ci le demandent à leur majorité. Là est tout l’objet de la nouvelle loi de bioéthique, qui, en plus de ne plus restreindre la PMA aux couples hétérosexuels, instaure depuis le 1er septembre 2022 la levée de l’anonymat des donneurs. Mais, dans les faits, l’accès à ces paillettes dites «nouveau régime» n’est pas pour toute de suite. Et, entretemps, la gestion des différents stocks de gamètes s’avère être un casse-tête pour les professionnels de santé, tout autant qu’un véritable mystère pour les femmes concernées.
«On nous a un peu mis la pression»
Si Marion et Margaux se sont inscrites au centre d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (cecos) de Bordeaux avec comme critère l’accès aux origines pour leur futur enfant, elles ont rapidement été rappelées à la réalité. Ce ne sera possible que fin 2024, leur dit-on d’abord. Le couple est donc agréablement surpris quand on lui propose, dès janvier 2024, un rendez-vous pour «la délivrance de paillettes». Toutes deux posent une journée de congé. Mais, une fois sur place, c’est «l’énorme désillusion» : «On nous a annoncé que l’on pourrait bénéficier de paillettes immédiatement que si nous changions d’avis et décidions de recourir à des paillettes ancien régime. On nous a un peu mis la pression», témoignent les deux femmes, qui ont refusé. Comme d’autres, elles déplorent un manque de communication sur un choix qu’elles estiment pourtant crucial. «Quand on a commencé le parcours, on a vu que les donneurs n’étaient plus anonymes, donc on pensait que ce serait forcément le cas pour le nôtre», rapportent à leur tour Laure et Axelle (1), inscrites dans un cecos parisien. «On nous a dit qu’on ne saurait que le jour de l’insémination si le donneur est anonyme ou non. Et que si on décidait de ne pas poursuivre, on serait radiées des listes», raconte le couple. Laure, qui s’est sentie culpabilisée et infantilisée, poursuit : «C’était le flou total, on avait l’impression d’être les seules à poser ces questions. On nous a fait comprendre que la majorité des personnes acceptaient des paillettes de l’ancien stock et qu’on faisait un peu nos divas.»
Après une première PMA avec des paillettes «anonymes» à Paris en 2022, Cécile et Camille ont fait part de leur volonté de bénéficier du même donneur pour leur deuxième enfant. «On ne nous a pas tenues au courant et, au moment de l’insémination, ils nous ont dit qu’ils n’avaient pas pu avoir le même, mais que c’était quand même de l’ancien régime», rapporte Cécile, qui assure elle aussi qu’elle n’aurait rien su si elle n’avait pas demandé. Surtout, interroge-t-elle, quel rapport inégalitaire cela aurait-il pu instaurer entre leurs deux enfants si leurs donneurs avaient été issus de deux régimes différents ?
Mêmes questionnements pour Marie et sa compagne, qui ont fait plusieurs inséminations avec des gamètes de l’ancien stock, et se sont vu attribuer des paillettes «nouveau régime» à la quatrième tentative, en octobre. «Je l’ai su quelques jours avant l’insémination, parce que j’ai demandé. Ça n’a pas marché. Mais si ça avait abouti, nous aurions dit à notre enfant qu’il ne pourrait jamais connaître l’identité du donneur, alors que si ?»
S’il «peut arriver que, sur des situations particulières, on aille chercher des paillettes du nouveau stock», comme l’explique la présidente de la Fédération des cecos, Catherine Guillemain, la priorité est à l’épuisement des paillettes «ancien régime», systématiquement proposées aux receveuses. Au 31 mars 2023 –les données n’ont pas encore été actualisées –, 89 000 paillettes restaient encore à écouler, selon Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. Il est notamment prévu, pour cela, de généraliser leur mutualisation : Rennes et Toulouse, qui sont deux cecos «excédentaires», doivent ainsi expédier des paillettes à Marseille, ou encore à la Réunion. «Il y aura une dizaine de centres receveurs», détaille Marine Jeantet. Les cecos, déjà débordés, tentent également de rappeler les anciens donneurs, pour les inciter à accepter la levée de leur anonymat, l’enjeu étant avant tout d’«éviter la destruction des anciens dons». «A Rennes, il y a des stocks qui datent des années 90,
ce n’est pas évident. Ces gens peuvent avoir changé d’adresse, être décédés… Ça se fait progressivement, mais c’est un travail colossal», met en avant Marine Jeantet. Sont appelés en priorité les «profils rares», précise Catherine Guillemain, soit les donneurs non blancs, qui manquent cruellement.
Un nouveau stock insuffisant
D’ici le 31 mars 2025, date fixée pour le passage au nouveau stock, se joue donc un véritable contre-la-montre. A la fois pour utiliser le maximum de gamètes ancien régime, et pour remplir la nouvelle réserve. Estimée à 27 000 paillettes au 31 mars 2023, celle-ci est largement insuffisante pour répondre à l’explosion des demandes. «Il devrait normalement y en avoir davantage depuis, mais ça ne représente même pas un an de stock», alerte la directrice de l’Agence de la biomédecine, qui prévoit de nouvelles campagnes. Alors que la tendance est à la hausse pour le nombre de donneuses d’ovocytes, qui font pourtant face à des procédures beaucoup plus longues et contraignantes, le nombre de donneurs de spermatozoïdes reste stable et insuffisant. Sur l’année 2022, l’Agence de la biomédecine comptait ainsi 990 donneuses contre 770 donneurs, et ces derniers sont estimés à environ 700 pour 2023.
Déjà de plus d’un an au niveau national, le délai moyen d’attente pour une prise en charge pourrait s’étendre sur plusieurs années après le changement de stock. Ce qui pousse de nombreuses femmes à continuer à aller à l’étranger. «En France, on a attendu pour le mariage, on a attendu pour la PMA, et son actuelle application ne nous convient pas», pointent Marine et sa compagne, qui habitent à Chartres et ont finalement été suivies au Danemark. Même décision pour Laure et Axelle : «Quand on a appelé la première fois, j’avais 35 ans. En 2025, j’en aurai 38 et on n’a aucune garantie», s’inquiète Laure, qui doit porter l’enfant. Le couple reste en parallèle sur liste d’attente dans un cecos parisien. En espérant ne pas tout devoir recommencer à zéro à l’ouverture du nouveau stock. •