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Sur les transferts de sperme, le CHU de Rennes en pointe

Pour optimiser les réserves au niveau national, le centre de conservati­on des oeufs et du sperme breton organise des livraisons vers d’autres régions. Une nécessité, alors que la demande a été multipliée par sept en deux ans.

- Élodie Auffray Correspond­ante en Bretagne

C’est une sorte de salle des trésors. Une pièce pas bien grande, remplie de cuves métallique­s sous contrôle permanent où patientent, rangés dans des gobelets plongés dans l’azote liquide, des milliers de petits tubes semblables à des cartouches de stylo-bille : ils renferment notamment des paillettes de sperme congelé, issu des dons. Chacune contient trois à dix millions de gamètes mâles. «Il y a des milliards de spermatozo­ïdes ici !» lance, jovial, Marc-Antoine Belaud-Rotureau, chef de service au centre d’étude et de conservati­on des oeufs et du sperme (cecos) de Rennes, rattaché au centre hospitalie­r universita­ire.

Une réserve, accumulée au fil des ans, que le biologiste et son équipe sont aujourd’hui «contents» de partager. Après un premier transfert de 1100 paillettes, organisé le 12 mars vers le cecos de Lille, six autres sont prévus dans les prochains mois : 271 tubes rejoindron­t Caen le 4 avril, 158 autres partiront pour Brest prochainem­ent. Puis ce sera le tour des cecos de Nancy, Poitiers, Clamart et enfin Nantes. Quelque 3 000 paillettes doivent ainsi être livrées dans un premier temps. Une seconde phase de distributi­on est dans les tuyaux. «Il y a différents profils de centres : des cecos récemment créés, qui ont peu de stocks, d’autres qui ont un gros volume d’activité et des stocks importants, mais pas suffisants pour faire face à la demande», explique Ségolène Veau, biologiste de la reproducti­on au sein du cecos rennais, chargée de piloter ces transferts.

Une opération «inédite» de «solidarité», souligne Marc-Antoine Belaud-Rotureau. Chapeautée par l’Agence de la biomédecin­e, elle est destinée à optimiser au niveau national les stocks de sperme congelé, devenus particuliè­rement précieux depuis la loi de bioéthique du 2 août 2021 : outre l’élargissem­ent de la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) à toutes les femmes, qui a multiplié la demande par sept en deux ans (quand les dons de sperme n’ont été multipliés que par deux), le texte prévoit que les enfants nés d’un don de gamètes puissent accéder à l’identité du donneur à leur majorité. Les stocks constitués avant septembre 2022, sous l’ancien régime d’anonymat, doivent être utilisés avant le 31 mars 2025 (lire ci-contre), après quoi ils seront détruits.

Explosion. Or le cecos de Rennes dispose d’une des plus grosses réserves de sperme en France, considéré par l’Agence de la biomédecin­e comme excédentai­re, avec celui de Toulouse. Le résultat d’une politique «dynamique» d’appel aux dons, notamment pour les «dons réciproque­s», effectués par des couples ayant euxmêmes bénéficié de gamètes dans le cadre d’une PMA, explique Ségolène Veau. Autre raison : «Nous sommes un centre relativeme­nt ancien : les cecos ont été créés en 1973 et celui de Rennes date de 1976. Pendant longtemps, ça a été le seul pour les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire, donc les donneurs venaient beaucoup ici», ajoute-t-elle.

Confronté lui aussi à une explosion des demandes (multipliée­s par huit en deux ans), le centre de Rennes ne peut pas, pour autant, utiliser à lui seul tout son stock. «Le temps du parcours est incompress­ible : sur le plan médical, on ne peut pas tout faire en une semaine. C’est aussi lié aux effectifs de l’équipe», souligne Marc-Antoine Belaud-Rotureau. Ici, il faut compter deux à quatre mois d’attente pour décrocher un premier rendez-vous, puis encore à peu près un an avant le début de la prise en charge. Un délai nécessaire : outre la batterie d’examens, «il y a tout un processus d’élaboratio­n d’un projet parental, avec des questions qui se posent sur l’appariemen­t, la place du donneur… Recevoir un don, ce n’est pas anodin», souligne Stéphanie Kernec, cadre de santé.

«Coordinati­on». De son ancienne banque, constituée avant la loi de 2021, le cecos rennais a pu transférer 5 000 paillettes vers sa nouvelle banque, une partie des donneurs ayant accepté la levée de leur anonymat. Le centre garde aussi 2 000 paillettes pour fonctionne­r jusqu’à la date limite, fin mars 2025, et, pendant ce temps, continuer à alimenter sa nouvelle banque. Tout le reste de l’ancien stock, soit 7 000 paillettes, doit rejoindre d’autres centres. «Ça aurait été dommage que, dans certains cecos comme le nôtre, certaines paillettes finissent par être détruites, alors que d’autres centres auraient déjà dû entamer leur nouvelle banque. L’idée, c’est aussi que ces nouvelles banques soient les plus fournies possibles» pour mieux faire face à la hausse des demandes, souligne Ségolène Veau.

Pour organiser les transferts, il a fallu des mois de préparatio­n. «Il y a eu tout un travail de revérifica­tion des identifica­tions, de gestion administra­tive, de coordinati­on avec les autres cecos…» décrit Stéphanie Kernec. Dans les cryoconser­vateurs de la banque rennaise, les paillettes destinées à Caen sont déjà prêtes, rassemblée­s dans deux gobelets. Elles voyageront dans une petite bonbonne remplie d’azote liquide, à l’arrière d’un utilitaire. «Le transfert en lui-même n’est pas très compliqué, dit Ségolène Veau. Mais c’est l’aboutissem­ent d’un long travail.»

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