Miracle, l’école privée est financée par la grâce de Dieu
Dans un rapport parlementaire publié mardi, des députés LFI et Renaissance déplorent l’impossibilité d’évaluer le montant précis des dépenses publiques destinées à l’enseignement privé et de les indexer à un effort de mixité sociale.
Depuis l’éviction d’Amélie Oudéa-Castéra du ministère de l’Education nationale, le soufflé est retombé. Les polémiques sur l’enseignement privé ont sagement repris leur place, cantonnées aux cercles des plus fervents défenseurs de l’école publique. Mais voilà que deux députés pourraient remettre une pièce dans la machine. Paul Vannier (La France insoumise) et Christopher Weissberg (Renaissance) ont présenté, mardi en commission, le rapport de leur mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat – qui pourrait ouvrir la voie à une proposition de loi de l’élu de gauche. Un secteur qui scolarise plus de 2 millions d’élèves (14 % des écoliers, 21 % des collégiens et lycéens) dans 7500 établissements, à 96 % catholiques.
Principal enseignement de ce document ? «Malgré les sommes en jeu, aucune administration ou institution n’est en mesure de fournir un montant consolidé de la dépense allouée aux établissements privés», écrivent les rapporteurs. Fâcheux. La Depp, le service statistique de l’éducation nationale, l’évalue, pour 2021, à 8,2 milliards d’euros provenant de l’Etat, 1,8 milliard de la part des collectivités territoriales.
Mais un certain nombre de dépenses sont en quelque sorte mal rangées. Ainsi des salaires des accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH), des rémunérations des inspecteurs (qui consacrent une partie de leur travail aux établissements privés) ou des effets de la scolarisation obligatoire à 3 ans (qui a contraint les mairies à contribuer aux dépenses des maternelles privées), certes inscrits au budget de l’Etat, mais pas dans la case «enseignement privé».
Manque de traçabilité
Les collectivités, elles, ne disposent pas d’un suivi consolidé au niveau national de leurs dépenses, qu’elles soient obligatoires ou facultatives. Seule l’Association des régions de France fournit un chiffre : 2,77 milliards d’euros investis en 2023, «dans les bâtiments, le matériel, l’informatique» des lycées dont elles ont la charge. Un manque de traçabilité qui «apparaît contraire aux principes de transparence et de rigueur budgétaire, alors même que les établissements privés sous contrat contribuent directement à la mission de service public d’enseignement», alertent les rapporteurs. Lesquels «estiment dès lors urgent de confier à l’Etat l’élaboration d’un document budgétaire annuel retraçant tous les montants bénéficiant aux établissements d’enseignement privés sous contrat». Autre souci : si les collectivités sont légalement obligées de verser aux établissements privés une contribution financière équivalente à celles qu’elles attribuent au public, elles n’ont pas la possibilité de vérifier à quoi sert cet argent. Ainsi, des communes ayant décidé de financer le recrutement d’une atsem (agente territoriale spécialisée des écoles maternelles) par classe de maternelle assurent ne pas être en mesure de savoir si l’enveloppe donnée au privé a bien servi à cela. Le principe même de parité entre public et privé est d’ailleurs remis en cause par les députés Vannier et Weissberg. En effet, les villes où beaucoup d’élèves sont scolarisés en réseau d’éducation prioritaire (REP), qui font un effort conséquent envers leurs écoles publiques, sont contraintes de faire de même dans le privé, alors que le profil socioéducatif des élèves y est plus favorisé. Certaines collectivités restreignent même leur financement au public, faute de moyens pour être aussi généreuses avec le privé. Dès lors, les rapporteurs proposent de cesser de comptabiliser les dépenses consacrées aux REP et REP + dans le calcul des sommes à verser au privé. Et d’accorder plus de poids aux indices de position sociale (IPS, qui reflètent le milieu socioéducatif de l’élève) dans l’allocation des moyens de l’Etat aux établissements privés. Paul Vannier va plus loin, en demandant l’instauration d’un malus : les établissements privés dont l’IPS est supérieur à la moyenne des établissements publics alentours se verraient attribuer moins d’heures d’enseignement.
les choux et les carottes
Face à la faible fréquence des inspections, déjà relevée par la Cour des comptes et évaluée dans le rapport parlementaire à un contrôle par établissement tous les mille cinq cents ans (cinq établissements sur 7 500 sont contrôlés chaque année), les rapporteurs proposent notamment d’augmenter le nombre d’auditeurs dans les directions départementales des finances publiques et de mettre en place une échelle de sanctions plus fournie. En cas de manquement, il n’existe aujourd’hui que deux options: la simple mise en demeure de régularisation ou la radicale rupture du contrat d’association (rarissime).
Le rapport Vannier-Weissberg est également l’occasion de tempérer une assertion à laquelle s’accroche l’Enseignement catholique : un élève de l’enseignement privé coûterait deux fois moins cher au contribuable qu’un élève de l’enseignement public. Ce qui revient à comparer des choux et des carottes. Car si le coût est moindre dans le privé, c’est bien parce qu’on n’y retrouve ni les mêmes enseignants ni les mêmes élèves. Ainsi, les professeurs agrégés (mieux payés que les certifiés) sont moins nombreux dans le privé, les enseignants y sont davantage contractuels et ils ne touchent pas de prime REP et REP +. Les élèves du public, eux, sont plus nombreux à être boursiers et en situation de handicap. En outre, il y a moins de lycées professionnels, et donc de plateaux techniques coûteux, dans le privé. Enfin, face aux établissements qui évincent des élèves dont les mauvais résultats risqueraient d’entacher leurs bonnes statistiques, Paul Vannier propose d’imposer une pénalité financière de 10 000 euros par élève mis à la porte. Une mesure que l’on n’imagine pas un instant adoptée, mais qui viendra alimenter le retour du débat sur le financement public du privé sous contrat.