«Le moment est venu de revoir le modèle»
Coauteur du rapport parlementaire, le député Paul Vannier (LFI) déplore l’opacité de l’Etat et des collectivités dans les financements des écoles privées sous contrat.
«Le montant de la dépense publique est inconnue. Personne ne le mesure.» Paul Vannier
Six mois de travail, 43 auditions et encore pas mal d’interrogations. Les députés Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance) ont présenté mardi, en commission des affaires culturelles et de l’éducation, le rapport de leur mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat. Un sujet devenu brûlant en début d’année, avec l’arrivée d’Amélie OudéaCastéra au ministère de l’Education nationale, mais qui conserve encore sa part de mystère. Dans un entretien, Paul Vannier déplore que la crainte de rouvrir la guerre scolaire alimente l’opacité de ce système qui ne tient pourtant que grâce à l’argent public.
Pourquoi ce rapport sur le financement du privé, moins d’un an après celui de la Cour des comptes ?
Je pense que nous sommes à la fin d’un cycle de quarante ans, commencé avec le projet de loi Savary [qui visait, en 1984, à créer un «service public unifié et laïque de l’éducation nationale», ndlr] et les manifestations qui ont suivi. Ce cycle correspond à une période d’omerta politique, pendant laquelle il était impossible d’aborder ces sujets, sauf à être immédiatement accusé de vouloir ouvrir la fameuse guerre scolaire. Cette mission d’information permettait de disposer de moyens pour comprendre et pouvoir préparer des évolutions que je sentais nécessaires, dans la perspective de la rédaction d’une proposition de loi visant à refonder le modèle de financement de l’enseignement privé, garantir le contrôle des fonds publics et intégrer les établissements privés sous contrat à la logique du service public.
Il ressort de votre rapport que personne n’est en mesure
de donner le montant des dépenses publiques allouées aux établissements privés. Comment est-ce possible ?
Le montant total de la dépense publique consacrée à ces établissements est inconnu. Personne ne le mesure, personne ne cherche à le mesurer, personne n’a été capable de nous le communiquer. Est-ce que c’est 10, 11, 12 milliards d’euros d’argent public ? Personne ne sait, probablement parce que personne ne veut savoir. C’est une découverte assez stupéfiante. Il y a des mécanismes de sous-estimation de cette dépense publique. Quand vous faites un don à l’Organisme de gestion de l’enseignement catholique ou à un diocèse, vous avez une déduction fiscale, comme pour une association. Personne ne mesure le montant de ces déductions fiscales, qui sont une dépense au budget de l’Etat. Est-ce que ce sont des dizaines, des centaines de millions d’euros? Cette dépense échappe à la mesure. De même, les dépenses facultatives des collectivités territoriales ne sont pas agrégées nationalement, ni par l’Association des départements de France, ni par l’Association des régions de France. Et la Depp (le service statistique du ministère de l’Education nationale) ne les intègre pas dans son calcul. Or, certaines collectivités ont fait des choix très clairs. Par exemple, depuis 2016, l’Ile-deFrance a augmenté de plus de 450 % sa dépense d’investissement à destination des établissements privés. La fameuse règle non écrite du 80-20 [80 % de financements publics pour les établissements publics, 20 % pour les privés] n’est sans doute pas tenue. Le ratio est probablement beaucoup plus favorable à l’enseignement privé sous contrat, parce qu’un certain nombre de dépenses sont mises de côté.
Vous souhaitez revenir sur la possibilité donnée aux collectivités d’accorder des subventions facultatives aux établissements privés du second degré. Pourquoi ?
Je propose d’interdire les dépenses d’investissement parce que ce sont des subventions à des patrimoines privés, qui peuvent être valorisés dans le cadre de transactions immobilières. On n’est pas dans une logique de financement de l’éducation des élèves. Je propose aussi d’abroger la loi Carle, qui oblige les communes à verser des contributions aux écoles privées, car je considère qu’elle contribue à la désertification des écoles publiques dans certains territoires. Il doit y avoir un pilotage public bien plus important des établissements privés sous contrat que ce qu’on observe aujourd’hui. Nous proposons de mettre en place des contrats d’objectifs et de moyens, signés entre l’établissement privé sous contrat, la collectivité territoriale compétente et le rectorat, pour trois ou quatre ans, et qui conditionneraient la pérennité des financements publics à l’atteinte d’objectifs de mixité sociale et de mixité scolaire.
Cet enjeu de mixité était au coeur du protocole d’accord signé l’an passé
entre le ministère de l’Education et l’Enseignement catholique, qui a accouché d’une souris. La fenêtre de tir pour faire évoluer les règles du privé n’est-elle pas refermée ?
Non, je pense en fait qu’elle s’ouvre. C’est ce cycle de quarante ans qui prend fin. Entre le protocole d’accord sur la mixité, le rapport de la Cour des comptes et l’affaire Amélie Oudéa-Castéra, il y a une sensibilité plus grande dans la société autour de ces questions. D’autant que l’enseignement privé est devenu plus ségrégatif, tandis que l’école publique a connu un véritable effondrement ces dernières années. Il y a une opportunité pour maintenir ouvertes les conditions permettant un débat public, démocratique. Le fait que mon corapporteur et moi partagions des propositions montre qu’au-delà de la gauche un certain nombre d’acteurs politiques sont favorables à l’idée de réviser au moins une partie du système.
Vous prenez grand soin, dans le rapport, à ne pas remettre en question l’existence même des établissements privés. En quoi se justifie le maintien d’un tel réseau ?
Je m’inscris dans un courant politique qui fait du principe «fonds publics à l’école publique» un fondamental. L’école publique est toutefois à ce point effondrée que la question d’une intégration immédiate de l’ensemble des élèves, des établissements et des personnels de l’école privée dans le giron du public ne peut pas se poser aujourd’hui. Mais je considère que le moment est venu de revoir le modèle de financement, pour sortir de ce cercle vicieux qui voit l’argent public agir contre l’intérêt public. Je propose notamment d’introduire un malus sur les dépenses d’enseignement, donc sur les dépenses de l’Etat, et sur les forfaits communaux et d’externat [les contributions des collectivités, ndlr], qui viendrait diminuer les moyens publics aux établissements privés sous contrat qui sont ségrégatifs. Il est possible de rééquilibrer le système, d’y faire prévaloir la transparence, le contrôle, la logique de service public.