«Dieu est une femme», plutôt deux fois Kunas
Cinquante ans après l’échec d’un premier film sur le peuple autochtone au Panama, Andrés Peyrot déjoue les clichés sur une communauté prétendument figée dans le temps.
Une idée circule avec force dans le documentaire d’Andrés Peyrot, tourné au large des côtes du Panama où vit le peuple autochtone des Kunas. Ce que le cinéma donne en dieu tout-puissant, il peut le reprendre. Se laisser filmer, est-ce faire une offrande à celui qui tient la caméra ? Faut-il plutôt parler d’un prêt, ce qui revient à contracter une dette envers la personne filmée ? Il y a cinquante ans, l’explorateur français Pierre-Dominique Gaisseau s’installait en pays kuna avec femme et enfant pour filmer les coutumes indigènes. Fasciné par les rites d’initiation réservés aux femmes, il mettait en boîte un film qui disparut ensuite dans la nature, coulé par ses financeurs sans avoir jamais été projeté. Un demi-siècle plus tard, nous voici témoins du désarroi des Kunas privés de cette représentation d’eux-mêmes, qui contient «les fondements de leur dignité» comme ils l’expliquent à la caméra, mais aussi les seules traces existantes de leurs proches décédés depuis.
Les indigènes, c’est bien connu, l’Occident les aime en pagne et
avec des plumes. Un certain pacte ethnographique qui a mal vieilli, avec ses petits arrangements folkloriques, est épinglé par les premiers concernés. Ce qui n’empêche pas une réelle affection des Kunas envers «leur»
film passé au rang de légende, transmis oralement aux jeunes générations, et qu’on leur verra restitué grâce à une miraculeuse copie restaurée à Paris. Jeune cinéaste suisso-panaméen, Andrés Peyrot va jusqu’à reprendre le titre initial du projet de Gaisseau, Dieu est une femme. Choix délicat. Tout comme l’était le pari d’aller filmer ce peuple que le cinéma a trahi la première fois, sans certitude que la démarche déboucherait effectivement sur un happy end réparateur. Le film n’est pas hyper engageant dans sa forme, mais donne du grain à moudre sur la valeur des images manquantes. La place accordée aux modes d’expression modernes de cette communauté, du rap aux études de cinéma, déjoue judicieusement le stéréotype du peuple figé dans la tradition, rendu à l’ici et maintenant.