Libération

«Black Flies», au secours!

Sean Penn et Tye Sheridan incarnent deux urgentiste­s new-yorkais en surrégime dans un thriller brouillon aux airs de déjà-vu.

- Lelo Jimmy Batista

Le héros du film porte une veste avec de grandes ailes brodées sur le dos et vit dans une chambre spartiate où le seul élément de décor est un tableau représenta­nt un ange. Au cas où vous n’auriez pas saisi l’idée, il s’appelle aussi Ollie Cross («Holy Cross», la Sainte Croix, vous l’avez?). Après un démarrage pareil, il faut effectivem­ent avoir la foi pour continuer. Mais Black Flies vous emporte sans trop vous demander votre avis. Dans un torrent de boue, de merde et de sang, plein de hurlements, de corps qui convulsent d’insultes, d’abjections –et de mouches, aussi, à l’occasion.

Cure-dents. Au coeur de la tempête, deux urgentiste­s de nuit, en surrégime. Ollie Cross donc, le débutant fraîchemen­t affecté à Brooklyn, volontaire, idéaliste et interprété par Tye Sheridan, cet acteur que vous confondez systématiq­uement avec Barry Keoghan et inversemen­t parce qu’ils ont tous les deux la même tête de poupon vieilli en fût. Et Gene Rutkovsky, le yang de son yin, marqué, buriné, au bout du rouleau, qui a définitive­ment tiré les rideaux sur l’espoir, et est de fait joué par Sean Penn, voix cassée, cure-dents aux lèvres, Vincent Lindon sous stéroïdes portant sur le dos une croix lourde de 5 000 tonnes. Au milieu de cette friteuse du diable, où se déverse toute la cornucopia du New York glaireux (Taxi Driver, Bad Lieutenant, Se7en : ils sont venus, ils sont tous là), se jouent les destins de nos deux personnage­s, l’un lorgnant le ciel, l’autre les tréfonds, avec fatalement en chemin du doute, des épreuves, des revirement­s et tout ce que ces manuels de scénario écrits par des profs d’université vous implorent de mettre dans vos arcs narratifs.

C’est ce qui étonne le plus ici : si ce n’était le savoir-faire évident et la photograph­ie tout en chrome, asphalte et gyrophares, on jurerait un premier film, tant tout est pesant, encombré, martelé avec insistance et hermétique­ment verrouillé – la baignoire où la vie et la mort font des va-et-vient symbolique­s, la boîte à outils théologiqu­e constammen­t dans le passage, de la lumière-au-bout-du-tunnel en veux-tu en voilà.

Surnage dans cette grande flaque de bile et de lymphe parfois assez limite une scène limpide et parfaite d’équilibre: l’ultime échange entre Ollie et Gene, qui commence dans un restaurant chinois et se finit dans la rue.

Kimberlite.

Regards vides et froids qui se heurtent à la vie qui grouille dehors, héros du quotidien réduits à un duo de semi-clochards rejetés aux marges de la marge. D’un coup, les dialogues deviennent secs, heurtés, évidents, Penn trouve enfin sa place, impitoyabl­e et fragile, et Sheridan gagne subitement en profondeur. Trois ou quatre minutes parfaites qui vivent là-dedans on ne sait comment, engluées au reste, comme une fraction de diamant dans un bloc de kimberlite. Manière pour le film de finalement remplir son job : nous faire croire, un bref, un très bref instant, au miracle.

Black Flies

de Jean-Stéphane Sauvaire avec Sean Penn, Tye Sheridan… 2 heures.

 ?? Photo Metropolit­an Films ?? Dans un torrent de boue, de merde et de sang, deux urgentiste­s de nuit en surrégime.
Photo Metropolit­an Films Dans un torrent de boue, de merde et de sang, deux urgentiste­s de nuit en surrégime.

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