Sur Atos, l’ancien patron a fait sa dette de mule
Devant la mission d’information sénatoriale qui vient de s’achever, l’exdirigeant a nié toute responsabilité dans le fiasco du fleuron de l’informatique.
L’Elysée avait anticipé le scandale. Emmanuel Macron et son secrétaire général, Alexis Kohler, savaient que Thierry Breton risquait de devoir répondre de ses dix ans passés, de 2008 à 2019, à la direction d’Atos. Aussi ont-ils refusé sa candidature comme tête de liste aux européennes. Le crash d’Atos est monumental. Dette brute de 4,6 milliards d’euros, chute vertigineuse du cours de Bourse, valse des plans de reprise et des dirigeants… Le groupe suffoque depuis le départ de Breton. Lui a toujours nié toute responsabilité, chargeant de fait ses successeurs. «Moi, j’ai laissé l’entreprise en parfaite santé, sans dette», dit-il encore à Libération.
Dîner. Breton a réservé ses explications plus poussées aux sénateurs, qui l’ont récemment auditionné dans le cadre d’une mission d’information sur Atos. L’ancien PDG s’est présenté avec son ancien bras droit, Charles Dehelly, un ingénieur rencontré quinze ans plus tôt chez Bull, artisan avec lui, dès 2009, de la transformation du groupe. A l’époque, il vendait essentiellement des services informatiques, maintenance et gestion des data centers. Dehelly s’est attelé à restructurer, couper les coûts, licencier. Breton, lui, phosphorait, recrutait un conseil scientifique, des noms prestigieux au conseil d’administration, tel Nicolas Bazire, alors numéro 2 de LVMH. Feu sur les acquisitions en 2011. D’abord le pôle informatique de l’allemand Siemens, en quête depuis longtemps d’un repreneur. Puis, en 2014, Bull, doté d’une division pépite qui fabrique notamment, à Angers, des serveurs puissants, et quelques supercalculateurs prisés dans la défense et le nucléaire. Dans la foulée, Breton introduit en Bourse la division paiement d’Atos, Worldline. Et c’est parti pour la conquête du marché américain, avec le rachat de Xerox en 2015, puis en 2018, avec l’espoir de rattraper le leader Capgemini, une société indienne, riche d’une main-d’oeuvre bon marché, Syntel. Prix : 3,1 milliards. En apparence, tout roule, Atos s’envole en Bourse, le patron est invité avec Bernard Arnault à la Maison Blanche, en 2018, lors du dîner donné par Donald Trump en l’honneur d’Emmanuel Macron. Breton verrouille tout par son réseau, son aura, et son management impérial. «Personne ne bronchait, il terrorisait tout le monde avec sa cour, se souvient un membre de la CFDT. Breton a des bonnes idées, mais il est dépassé par sa mégalomanie qui nous a emportés.»
«Voleur». Procès injuste, s’indignent ses thuriféraires. «A mon départ il n’y avait, pas de dette, rien», a répété le commissaire européen devant les sénateurs. Une dette de 1,736 milliard est tout de même répertoriée, fin 2019, à la page 88 du rapport financier. Ceux qui sont restés ont raconté devant la Chambre haute la logique financière de Breton, obnubilé par le cours de Bourse, ratant des tournants technologiques majeurs, partant «comme un voleur». Les sénateurs sont en train d’écrire leurs conclusions. D’elles, dépend en partie l’avenir européen de Thierry Breton. Il percevra, quoi qu’il en soit, sa retraite chapeau.